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Le 5 avril dernier avait lieu à l’Usine C la première mondiale de Rome, coproduite avec le Théâtre français du CNA. La pièce, mise en scène par Brigitte Haentjens, consiste en un assemblage des cinq pièces romaines de Shakespeare (Le viol de Lucrèce, Coriolan, Jules César, Antoine et Cléopâtre, Titus Andronicus), refondues et réécrites par Jean Marc Dalpé.
L’un des sommets de cette production est probablement l’occasion offerte d’une vision synoptique de l’histoire de l’Empire romain, de son essor à son effondrement, grâce à cette monumentale juxtaposition de pièces, dont chacune est par elle-même d’une monumentale profondeur et densité. C’est indéniablement une véritable prouesse que de faire tenir ensemble et de rendre digeste une aussi grande profusion de contenu.
Par ailleurs, la conception musicale de Bernard Falaise (avec deux autres musiciens) offre tout au long, un accompagnement à l’action à la fois cohérent et agréable, sans être distrayant. On doit saluer également le travail de mise en scène et l’interprétation qui, malgré la seule présence des acteurs sur scène, offrent une expérience aussi immersive que réussie esthétiquement, autant dans les moments intimes que lorsqu’une foule se rassemble sur les planches.
Au cours des scènes les plus réussies du Viol de Lucrèce, où le crépitement des flammes fait écho à l’embrasement de l’âme de Tarquin, où l’inviolable vertu de Lucrèce subit la violence de ses assauts, les deux interprètes remplissent tout l’espace scénique et on retient son souffle. Puis, on se retrouve littéralement au cœur de l’action, avec les Coriolan, Brutus et autres figures mythiques qui tournoient avec une impeccable fluidité entre la scène, les coulisses, les passerelles et les mezzanines. Le jeu des acteurs (une trentaine d’interprètes) est convaincant et parfois franchement inspiré. Citons la douloureuse intransigeance et les souveraines colères de Coriolan (Sébastien Ricard), la féminité candide, maîtrisée, redoutable, capricieuse et surnaturelle de Cléopâtre (Madeleine Sarr), qui joue de ses humeurs avec le pilier du monde Marc-Antoine (Jean-Moïse Martin) comme on enjôle un serpent.
Les collaborateurs de longue date Haentjens et Dalpé ont fait le pari, dans cette production, de s’extraire à un exercice d’historicisation du texte de Shakespeare. Il n’est pas question ici, donc, de restituer ni les codes esthétiques du théâtre élisabéthain, ni la vraisemblance historique des événements relatés.
Les soldats romains portent des costumes qui évoquent à la fois l’antique et le cyberpunk. Comme dans les rues de Montréal en été, les personnages féminins assortissent allègrement combat boots et drapés délicats. Cléopâtre pourrait aussi bien se rendre à une soirée de gala que débarquer majestueusement dans un port sur le Nil.
La langue de Shakespeare elle-même, sous la plume de Jean-Marc Dalpé, cède sa place, de plus en plus abondamment au fil du temps, à un français québécois contemporain, jurons y compris. On entend le mot « fourrer » surgir de la bouche de Lucrèce, la plus sage des femmes. Coriolan, tyrannique et méprisant sous l’effet de son indomptable et impétueuse noblesse d’âme, doit s’imprégner de la nécessité de rester « molo » pour ne pas attiser davantage le courroux des plébéiens.
L’effort d’actualisation et la liberté vis-à-vis d'une approche philologique du texte s’étendent également au traitement des événements eux-mêmes, un rapprochement étant esquissé, par exemple, entre la situation des plébéiens sous la Rome républicaine et celle des grands perdants du capitalisme contemporain. Autre concession à l’esprit du temps : les rôles masculins sont indifféremment interprétés par des hommes et des femmes.
Si on ne peut que saluer l’intention de cultiver un rapport non muséal au texte et celle de donner un nouveau souffle de vie à un monument parfois simplement restitué avec déférence, on se questionne sur la cohérence d'ensemble et la pertinence de cette collection d’effets de modernité, qui apparaissent parfois faciles et aléatoires. « L’Hamlet en smoking, écrit Brecht, constitue un sacrilège à peine plus grand que l’Hamlet traditionnel en bas de soie : on reste de toute façon cantonné dans la pièce à costumes ». On se permettra ici à ce propos deux seules remarques.
D’abord, au fur et à mesure que le récit progresse, il semble s’installer un essoufflement de l’écriture qui se manifeste entre autres par un suremploi de l’hybridation des registres de langue. Sympathique, parcimonieuse et intéressante au départ, elle prend la place peu à peu d’un expédient universel un peu lassant visant peut-être à prévenir l’essoufflement du spectateur, grâce au recours à l’effet comique du contraste.
On se demande ensuite quel est le propos qui doit être transmis par le fait d’avoir opté pour une distribution non genrée. Ce n’est pas que ce choix soit problématique en soi, mais l’identité de genre binaire des personnages historiques n’est pas véritablement problématisée -dans son rapport avec la violence de l’ordre civilisationnel dépeint, par exemple- au-delà de ce choix éditorial qui apparait, de ce fait, un peu gratuit. En contrepartie, la représentation des personnages féminins ne semble pas questionnée dans ce qu’elle pourrait avoir, de son côté, de problématique, quant à son caractère objectivant ou quant aux critères de beauté qui président au choix des actrices : les attributs sexuels des jeunes et belles femmes sur scène sont volontiers mis en valeur par les costumes. Aucun homme cisgenre, d’autre part, n’incarne une femme cisgenre.
En somme, cette traversée exigeante d’une durée de 7h30 (incluant deux entractes d’une vingtaine de minutes) offre des moments d’élévation et de gloire, des passages parfois cahoteux et lancinants ainsi que quelques zones d’ombres, bien que ses hauts et ses bas soient sans doute moins vertigineux que ceux du récit légendaire.
Rome est présentée jusqu'au 23 avril à l'Usine C. Il reste encore quelques billets disponibles pour les représentations de jeudi et vendredi de cette semaine (13 et 14 avril), et de la semaine suivante (20 et 21 avril). Rendez-vous sur le site Internet de la salle de spectacle pour l'achat de billets en ligne.