Dans la série d'entrevues Questions réflexions, Charles Moquin rencontre des personnalités de la scène culturelle et les interroge sur leurs valeurs, leurs principes individuels ou sociaux, leur vision du monde, sur des questions de société ou des sujets philosophiques.

ENTRETIEN AVEC LUC DE LAROCHELLIÈRE

Auteur-compositeur-interprète québécois.

Est-ce qu’il faut être passionné pour bien performer? Un bon technicien non passionné peut-il y arriver aussi?

Je suis certain que ça aide à durer. Je connais plein de gens doués qui ont abandonné par manque de passion.

Que pensez-vous des gens qui jouent avec une oreillette ou qui chantent en playback?

Tout dépend du genre de spectacle. Si la personne chante seule à la guitare, il y a un problème. Par contre, si c'est un spectacle à grand déploiement à la Madonna et qu'il y a certaines paroles ou musiques préenregistrées, cela ne m'embête pas car l’ensemble demeure une performance live. Dans mon cas, je ne le fais pas, mais certains artistes pré-enregistrent quelques instruments de façon à limiter les coûts de tournée.

Recherchez-vous davantage la ressemblance ou la différence dans vos relations personnelles et dans votre vie en général? Et votre quotidien, de quoi est-il fait?

Avec la famille, il peut y avoir une plus grande diversité d'opinions. Et c'est une bonne chose d'être confronté à cela. Au niveau des valeurs de base, je suis entouré par des gens qui me ressemblent. Rien à voir avec la race, l’orientation sexuelle, ou autres différences du genre.

Est-ce que l’habillement en dit long sur les gens?

J’essaie de me méfier de ma première impression. Tout le monde est finalement conforme dans son habillement . Même les punks s’habillent de la même façon depuis quarante ans. On veut se distinguer, mais on rejoint un groupe. Ce sont les mêmes personnages joués par différents acteurs. J’essaie de rencontrer l’acteur. Bref, l’habit ne fait pas le moine.

Êtes-vous plutôt dans l’acceptation ou la confrontation aux gens, au temps, aux insuccès?

Je peux être combatif. Mais en vieillissant, j'accepte davantage d'accepter.

Souffrez-vous de la rage au volant?

Non. D’ailleurs, je ne conduis que depuis 5 ou 6 ans. J’avais peur de tuer quelqu'un.

Qu’est-ce qui prime pour vous au restaurant, la gentillesse du service ou qualité de la nourriture?

C'est la qualité de la nourriture. Et je suis gourmand.

Êtes-vous davantage attiré par des gens pour qui la vie coule de source ou par ceux qui sont davantage tourmentés ?

Je trouve que les tourmentés ont plus de compassion et font de meilleurs sages . Mais il ne faut pas se complaire dans cette tourmente. Sinon cela peut devenir toxique.

Jusqu’où la liberté d’expression, selon vous, peut-elle aller?

Jusqu'à l'incitation à la haine et la violence.

Votre but dans la vie est-il d’être heureux?

De plus en plus. Jeune, c'était davantage d'être un artiste, d'être créateur.

Le dicton « le malheur des uns fait le bonheur des autres » ou vice versa s’applique-t-il à vous ?

Dans mon métier, on est porté à se comparer. Je crois que l'être humain est naturellement jaloux et il doit consciemment combattre cela, pour aspirer au bonheur. Et dans notre société, bientôt, le malheur des uns va faire le malheur des autres.

Qu’est-ce que l’amour?

J'ai ma mère à 86 ans qui souffre d'Alzheimer. J’ai aussi mon fils qui n’a même pas une année. Et je les aime tous les deux.

L’être humain est-il foncièrement bon ou mauvais?

Je crois qu'il y a plus de bon que de mauvais, sinon ce serait un éternel carnage.

Seriez-vous prêt à faire condamner un innocent pour sauver un ami?

Je choisirais la justice, même si c'est mon ami.

Est-ce que le suicide assisté devrait être accessible à qui en ressent le besoin, sans autres considérations?

Non, en ce qui a trait aux maladies mentales. J’ai croisé trop de gens qui ont vécu de grandes périodes de détresse et, après des années, ont trouvé le bonheur; et ils se retrouvent avec leur petit-fils sur les genoux, à penser qu’ils n’auraient raté cela pour rien au monde.

Croyez-vous que Bertrand Cantat doit continuer à s’exprimer artistiquement?

Moi je n'irais pas voir ses shows. J’ai un malaise. Mais, je ne jugerai pas quelqu'un qui va y aller.

Un défaut un vrai?

Je suis impatient, et un colérique qui se contrôle tellement qu’il passe pour un doux.

Que pensez-vous de la recherche sur les cellules souches?

Si de reproduire nos propres organes peut en stopper le trafic, ce serait déjà bien.

Estimez-vous que l’homme doit continuer de protéger la biosphère, ou se modifier pour vivre dans un nouvel environnement?

L'un n'empêche pas l'autre. Mais je crois qu'un jour on va devoir quitter la terre. Sous quelle forme? Je ne le sais pas, mais je pense que l'on va disparaître si ce n'est pas fait avant 200 ans.

Croyez-vous à une vie après la mort?

Ça me semble peu probable. Mais j’aimerais cela, car je trouve la vie humaine courte.

Avez-vous peur de la mort?

Oui, car j’aime la vie.

Est-ce qu’il y a un avenir pour le français au Québec?

C’est à nous de le décider, comme nos prédécesseurs l’ont fait.

Sur quoi travaillez-vous actuellement?

Suite à la sortie de mon nouvel album l'automne dernier (Autre monde, ndlr), je serai en tournée pour encore plus d'une année. Il y a aussi le projet, « Hommage à Jacques Brel » comptant une dizaine de chanteurs, dont j’ai fait la mise en scène. La version orchestre symphonique a connu un vif succès. C’est un spectacle que l’on pourrait reprendre.