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Deuxième soir de la septième édition du Taverne Tour. Deuxième étage du 4848 St-Laurent, qui a conservé un je-ne-sais-quoi de son passé de centre communautaire socialiste est-européen. Un verre à la main, hilare et satisfaite (« not a thought in my head / am I stupid or dead ? », DANA), dans l’attente de voir monter Sweeping Promises sur scène. Je suis arrivée depuis peu, je suis au sommet de la forme et de l’excitation.
Juste avant que la conversation ne glisse (comme cela arrive fatalement ces jours-ci et comme il est de bon ton ces jours-ci) vers le constat que le capitalisme ruine tout, je m’élance dans un dithyrambe dionysiaque. Il est si bon de déambuler la nuit de spectacle en spectacle, d’amusement en amusement, dans ce joyeux carré de sable de quelques kilomètres carrés à l’est de la montagne ! La ville de Montréal offre l’expérience d’une vie culturelle et nocturne d’une confortable horizontalité, propice aux déplacements fluides à vélo et aux rencontres stimulantes, tant que l’on peut éviter le Vieux-Port, légèrement excentré, avec sa verticalité topographique et humaine.
Le Taverne Tour est l’exemple parfait de cette atmosphère à la fois effervescente et laid back, de cet heureux équilibre entre vitalité, inventivité, accessibilité et inclusivité. Il y a de la place pour tout le monde et personne ne se prend la tête. Pendant les trois jours du festival, les trois artères principales qui font palpiter la scène musicale de la ville se gorgent de musiciens d’ici et d’ailleurs, dont le seul dénominateur commun est sans doute la singularité, l’audace et la pertinence, qui se mélangent aux observateurs attentifs autant qu’aux curieux de passage, dans une belle grande soupe humaine hivernale bien chaude et épicée.
Maintenant que mes deux pieds ont bel et bien regagné le sol après cette fin de semaine de vertigineuse frénésie rhapsodique, voici venu le temps de revenir sur les faits saillants du festival.
Pas facile de faire un choix parmi l’offre alléchante de cette grandiose soirée d’ouverture du Tavern Tour (cette observation vaut pour chaque jour). En même temps qu’un trio de groupes locaux (Dirty Milk + Jetsam + Glowing Orb) dont le son est aussi apparié à l’ambiance déglinguée de la Sotterenea que le sel l’est au poivre, Deli Girls, visiteurs de marque dont il convenait d’honorer la venue. Mon choix s’est finalement laissé déterminer par le happening (passage rare vs récurrence et accessibilité des prestations).
Deli Girls est un duo de noise-punk industriel, originaire de Brooklyn, formé en 2013. Leur premier EP, album éponyme sorti en 2016, est une jubilatoire volée de coups amplement méritée, faite d’insultes légitimes, de sarcasmes, de plaintes gutturales, d’expérimentations bruitistes dissonantes sur fond de basse profonde et tribale. Ils ont depuis sorti dans la même veine quelques albums remarqués (I dont know how to be happy, entre autres, s’est vu attribuer un très honorable 7.6 sur Pitchfork) tout en gratifiant le public new-yorkais et nord-américain, de façon tout aussi remarquée, de thérapeutiques performances live à la fureur vengeresse.
La soirée s’est ouverte sur le projet solo d’Alexandre Spazz Fournier, alias Alix Fernz (ancien membre du groupe post-punk Blood Skin Atopic), qui avait à nous offrir, dans une performance convaincante, une synthpop ténébreuse, mais tout de même dansante, laissant présager un développement intéressant dans la carrière de l’artiste.
On a ensuite eu droit à la prestation théâtrale pleinement maîtrisée des Torontois Slash Need (que j’avais dû manquer à leur dernier passage à Montréal !), faite de latex, de hurlements, de rythmes saccadés, d’éclats de rire sardoniques, conçue autant pour provoquer l’émeute que pour éveiller des fantasmes condamnables.
Le duo new-yorkais, headliner du concert, a également livré la performance attendue, assez impeccable en termes de chaos, de sincérité, d’éloquence et de puissance.
Il semble malgré tout que la soirée dans son ensemble avait quelque chose qui n’allait pas. Parmi les explications possibles à ce curieux phénomène, quelques hypothèses proposées : le degré de décibels insuffisants dans la salle, le manque de cohésion et de synergie dans la foule, l’allure un peu trop formelle et austère du Ministère, qui accueille les visiteurs avec ses deux massives colonnes romaines qui rappellent la façade d’une banque, les projections sur des écrans derrière le band, un peu trop léchées, qui créaient l’impression d’une mise en scène plutôt que d’un déversement de furie.
Le bilan est que cette soirée rassemblait trois excellents groupes, qui n’ont pas véritablement commis sur scène de faux pas, mais qu’il a manqué cette étincelle qui transforme une criaillerie en carnage.
Cette soirée a commencé pour moi à la Sala Rossa entre la fin de DANA et le début du très attendu spectacle de Sweeping Promises, duo originaire de l’Arkansas, formé en 2019. Étrangement, le son et les mélodies efficaces, droites et maîtrisées de la formation post-punk, leur énergie à la fois abrupte et polie, vindicative et ensoleillée -éléments qui ont objectivement beaucoup pour plaire-, n’arrivent pas à susciter chez moi l’engouement attendu. Je soupçonne que c’est entre autres le timbre particulier de la voix de Lira Mondal qui ne me revient pas, pour des raisons que seule la chimie, de pair avec la psychoacoustique, pourrait expliquer. Aussi, leur son -à mon humble avis- a quelque chose d’une incarnation générique de l’esprit du temps, d’une synthèse un peu trop convenue, consensuelle et polie d’influences post-punk diverses.
J’ai donc glissé jusqu’au sous-sol pour entendre jouer quelques (presque) vétérans montréalais de la synthwave. J’ai été accueillie par une vague de chaleur, transfusée directement dans mes veines par le duo Zom Zom, autrefois et depuis 2010 connu sous le nom de Brusque Twins - nom qu’on pouvait encore entendre prononcer jusqu’à l’an dernier. La formation nous a offert une prestation hypnotisante de sensualité, une sorte de long rêve érotique éveillé, inquiétant, rude, chaud, mielleux et dansant. La soirée s’est poursuivie et terminée avec Das Mörtal, montréalais également, qui a fait ses classes et puisé son inspiration entre autres à l’école de la techno berlinoise. Une autre musicalement très solide prestation, si ce n’est qu’on décroche par moments sous l’effet des paroles, qui donnent parfois dans le cliché et le mièvre.
Quoi dire de ce show de la soirée de clôture, apothéose offerte par (probablement) l’ultime tête d’affiche du festival, Suuns ? Mis à part qu’ils ont livré la marchandise, que la raffinée, complexe, dense, brute, mélodique, dissonante poésie musicale de la célébrée formation shoegaze montréalaise, active depuis 2007, a eu l’effet escompté. C’est-à-dire plonger l’auditeur dans une longue transe cathartique, qui fait flotter magiquement à travers une très vaste constellation de sensations, d’émotions, et de rêveries, allant du gris pâle à l’orange brûlée, du frisson à la joie rageuse. Je me disais au cours du spectacle qu’il est sans aucun doute souvent tentant de privilégier de se faire violenter physiquement et auditivement par les expérimentations brutes de la scène DIY, mais il reste que le raffinement et la maîtrise offerts par des musiciens aguerris, orfèvres du son, valent leur pesant d’or.
Le dernier des derniers spectacles avait lieu au Ministère, passé minuit, après la fin de tous les autres concerts. On pouvait y déguster (gratuitement !!) des pointes de pizza ainsi que les déhanchements saccadés et lascifs de Tyler Wright, chanteur de TVOD. Le groupe en était à son deuxième passage en peu de temps à Montréal, la dernière fois étant le 6 octobre dernier à la Sotterenea. Originaire de Brooklyn, la formation « disco-punk », définitivement et délicieusement festive, autoproclamée unapologetically raw, pourrait être décrite comme un remaniement post-punk d'éléments empruntés à un boys band et au punk old school aux accents rock and roll. Wright se situe quelque part entre un Justin Timberlake échevelé sur la cocaïne et Marty MacFly dans Back to the Future I, version trash. Avec un soupçon de narcissisme assumé, il a fermement emmuré la foule dans un grand orbe de plaisir et d’amour au centre duquel il constituait le pôle d’attraction. Le dessert un peu coupable pour lequel on a toujours encore faim.
Pour en revenir au dithyrambe s’étiolant en complainte dont il était question plus haut, (sans vouloir être rabat-joie), il saute aux yeux, ayant regagné le plancher des vaches, que le genre d’expérience qu’offre le Taverne Tour a quelque chose de paradoxal. S’il y a une constante qui traverse l’œuvre des artistes entendus, dans leur très grande variété, c’est peut-être l’expression d’un refus ou d’une volonté de dépassement vis-à-vis le monde dans lequel on vit. L’énergie provoquée et canalisée dans un tel rassemblement aurait le potentiel, on peut croire, de nourrir une lame de fond balayant ultimement tout ce que cette musique vilipende.
Or, il n’en est rien. Après ce bref défoulement collectif et cette sortie de soi, chacun regagne sagement l’ordre des choses, ordre qui rend précaire la survie même de ce genre d’événement. Je pense qu’il n’est absolument pas exagéré de supposer qu’au moins 80% des groupes qu’on a pu entendre vivent -souvent pauvrement- de boulots divers et non de la musique, que l’art occupe donc, même pour les artistes, une place séparée à côté de la vie utile, refuge et échappatoire dans un monde hostile. Par ailleurs, même si l’événement reste assez inclusif et abordable, il n’est accessible qu’aux gens privilégiés qui ont le luxe de se ménager les moyens financiers, culturels ainsi que le temps nécessaire pour cultiver ce genre d’intérêt. De ce point de vue, même si ça fait le plus grand bien sur le coup, il reste hélas que ce genre d’expérience, ponctuellement riche et satisfaisante pour une minorité de gens, demeure -pour l’instant- globalement stérile et cantonnée aux marges de la vie individuelle et collective.
Malgré tout, en attendant le printemps des peuples, le festival a sans aucun doute fait fondre au moins une peu de neige et le succès de l'édition actuelle fait déjà spéculer avec enthousiasme sur la huitième (le chiffre de l’infini) mouture du festival en 2025. D'ici là, beaucoup d’artistes entendus dans les tavernes du Plateau cette fin de semaine se produisent régulièrement dans le même circuit de salles de spectacle. Population II, Glowing Orb, Jetsam, pour ne nommer que ceux-là, offrent des concerts d’ici les deux prochains mois.
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