Présenté au printemps 2021, déjà à La Licorne, le spectacle affichait complet pour ses représentations durant le contexte pandémique. Aujourd’hui, c’est donc avec grand plaisir que nous avons la chance de revoir cette pépite de la scène théâtrale ouvrir la saison 23/24 de La Licorne. Un événement à ne pas manquer pour une pièce d’une grande richesse émotionnelle. 

Les étés souterrains suit la vie d’une femme qui enseigne la littérature à Montréal et passe ses étés à la campagne dans le sud de la France, où elle retrouve, année après année, ses amis et son amour de vacances. C’est une femme rationnelle et pragmatique, libre et assumée. Intransigeante, elle aime débattre, questionner l’ordre établi et se rendre utile en paroles et en actes, sans rendre des comptes à personne... Jusqu’à ce que la vie vienne ébranler son corps et, par le fait même, ses convictions les plus profondes.

Porté par Guylaine Tremblay, ce poignant solo propose une incursion dans la vie d’une femme qui nous livre sa vision du monde, de l’amour et de la solitude. Guylaine Tremblay livre ce solo d’une main de maître. Une interprétation remplie de force, de fougue, où petit à petit la vulnérabilité prend place autour de ce personnage si fier. L’auteur Steve Gagnon explore les raisons pour lesquelles, au cours d’une existence, notre façon de voir les choses, notre corps et notre esprit peuvent se transformer au gré des épreuves. Que faire lorsque tout ce qu’il nous reste est la mémoire ?

Avec ce spectacle, Steve Gagnon signe l’un des textes les plus émouvants et exquis de la scène québécoise mis en scène ces dernières années. Guylaine Tremblay maîtrise à la perfection ce flot de paroles et donne vie à ce personnage sanguin, enivré et enivrant, à qui le sud de la France va si bien. 

Au fur et à mesure que l’histoire prend place et que les anecdotes s’installent, l’émotion laisse place à une vulnérabilité des plus touchantes. Steve Gagnon réussit à mettre en mots ce que nous pensions être seulement à la portée des vieilles âmes, qui ont tant vécu. Il livre un texte magistral où les moments les plus simples de soirées entre amis sur une terrasse deviennent de grands instants. Où le partage est le noyau. Chaque mot est utilisé à sa juste valeur, dans la noblesse du langage, sans en faire trop ou pas assez. Dans un parfait équilibre. Le rythme du texte est également d’une grande qualité et nous permet d’osciller entre rires et larmes sans que nous soyons maîtres du bateau qui navigue à travers la dégénérescence du corps de notre personnage. Vraiment, un coup de génie. 

« Je suis impudique du corps mais pudique du cœur (…) j’ai pas appris comment être fragile, ça je ne sais pas comment faire, dépendre des autres c’est ça qui va me tuer » 

Les étés souterrains nous rappelle qu’il faut ouvrir la voix(e), ne pas avoir peur, et profiter, coûte que coûte. Ce seul en scène fait l’effet d’un électrochoc, une ode à la vie, à l’amour et au partage, mais aussi à la confiance et au lâcher-prise. Un spectacle, écrit spécialement pour Guylaine Tremblay, qui nous fait grandir. 

Notons également la conception sonore et la musique de Mykalle Bielinski qui viennent nous enivrer. Nous sommes transportés dans le sud de la France, où l’odeur des cyprès, des fleurs roses du Sud et du sol calcaire des Calanques vient presque chatouiller notre nez grâce à un environnement sonore immersif. L’ambiance cinématographique, et beaucoup plus dramatique, des musiques jouées durant les projections filmiques viennent quant à elles nous plonger dans des flux d’émotions doux, beaux et tristes, mais si humains. 

La mise en scène d’Édith Patenaude est efficace. Guylaine Tremblay joue avec ses spectateurs à travers une chorégraphie qui vient ponctuer les 35 courts actes de ce solo, allant de chaise en chaise. Ses prises de paroles sont entrecoupées de projections vidéo, symbole d’un autre temps. Un mélange très juste entre les différents médiums pour laisser place à une temporalité éclatée qui prend tout son sens au fur et à mesure qu’elle s’installe. 

Les étés souterrains est un événement théâtral à ne pas manquer. Tout d’abord pour l’incroyable performance de Guylaine Tremblay qui mène ce personnage d’une main de maître. Puis pour le texte, remarquable, de Steve Gagnon. Et pour le travail d’Édith Patenaude et de toute l’équipe de création qui réalise ce puissant spectacle. 

Les étés souterrains est joué jusqu’au 23 septembre dans la grande salle de La Licorne. Faites vite, plus de la moitié des séances sont déjà complètes ! Infos et billets.