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Avec La singularité est proche, le jeune auteur et metteur en scène Jean-Philippe Baril Guérard réussit un coup de maître : faire entrer avec justesse le récit d’anticipation au théâtre. Dès lors qu’on est immortel, quel sens donne-t-on à la vie? Voici la question que pose l’œuvre de Jean-Philippe Baril Guérard, inspirée du livre éponyme de Ray Kurzweil, chercheur émérite à Google. Sous nos rires amusés, cette question bien vaste soulève tout au long de la pièce des tirades tantôt tragiques, tantôt comiques sur la perception du temps, l’urgence de vivre et l’interprétation du réel.
Souvenirs mécaniques
Plein phare sur les planches. Quatre amis partis en vacances au bord de la mer rejouent sans cesse la même scène. Anne installe sa serviette, sa sœur Élise se languit d’une promenade dans les dunes; bref, on se soucie du bien-être des uns et des autres quand, tout à coup, Bruno le comptable surgit de nulle part, en costume-cravate et tasse thermos à la main. Plus qu’un détail insolite et quasi surréaliste dans le jeu, le personnage bourré d’imperfections est un heureux bug au pays du contrôle. Maladroit et attachant, il incarne tout le restant d’humanité de la protagoniste principale en passe de devenir « synthétique ».
En effet, plongés dans la conscience d’Anne, les personnages vont tout faire pour la convaincre d’être « transférée » et d’échapper au poids de la mort. « Cela ne prend que quinze petites secondes », la rassure son beau-frère. Quinze secondes pour créer une version optimale de soi. Avec une telle promesse, qui ne signerait pas le contrat? En cartographiant tous ses souvenirs dans un nouveau corps, certes plus beau, mais à l’esprit plus docile et rigide, Anne fait partie de la première génération à pouvoir rester vivante, ad vitam nauseam.
Face à la dureté du propos, la mise en scène infuse une image réconfortante du souvenir : atmosphère cotonneuse, bruit de rembobinage, claquement de projecteurs à diapositives et lumières couleur sépia. Idéalisé ou artificiellement enjolivé, le réel apparaît teinté de nostalgie, et le passé comme une matière que l’homme peut façonner à la manière du décor de papier noir qui entourent les acteurs.
Caviarder sa vie!
Durant le transfert, Anne lutte pour rassembler 15 secondes des plus beaux moments de sa dernière vie. Mais comment conserver le meilleur de soi? Face à cette solution rêvée au problème de la finitude de l’être humain, l’auteur soulève avec humour la question de l’eugénisme. Dans cette société où l’injonction du bonheur est reine, la tentation est grande de s’offrir, à chaque transfert, une meilleure version de soi. Moments tristes, baisers imparfaits, discussions déprimantes au coin du feu, on oublie! Vive les sourires forcés, les mélodies chantées avec justesse, les remarques toujours bienveillantes et l’illusion du risque zéro!
Dès lors, l’originalité du texte, entre humour et anticipation, résonne dans un environnement sonore immersif, qui amplifie les bruits sensuels de la mer, mais aussi les cliquetis de machines et grondements de moteurs. Êtres organiques et synthétiques cohabitent avec peine, dans un monde dénué d’accident.
L’humour teinté d’angoisse de Jean-Philippe Baril Guérard pousse jusqu’au bout la logique du « techno cocon » très actuelle. Elle consiste à penser que la technologie améliore la condition de l’homme en le rendant prévisible — comme c’est déjà le cas grâce au Big Data — et augmente ses capacités en lui permettant de se façonner, soi et son environnement, tel un Dieu.
Ainsi, dans ce texte - hommage à Oh les beaux jours de Samuel Beckett, le huis clos captivant joue sur des mécanismes de répétitions et d’effondrement du langage pour souligner l’absurdité de la croyance « futurologiste » en l’immortalité.
En signant cette pièce, le metteur en scène nous invite aussi à repenser le théâtre comme le lieu de la fin du langage où les acteurs incarnent une version exagérée, mais pas si lointaine, de nous même.
Conclusion
On se réjouit de l’audace de La singularité est proche à traiter de thèmes tels que l’abolition de la finitude du temps et de l’être, dans un style futuriste et riche qui réussit parfaitement à se passer de l’artifice numérique. L’œuvre déploie une réflexion essentielle sur la beauté d’un geste radical et résolument humain, d’un horizon limité bien qu’il semble infini.
À l’affiche jusqu’au 20 mai à l’Espace Libre.
ÉQUIPE
Production
Théâtre En Petites Coupures
Texte et mise en scène
Jean-Philippe Baril Guérard
Interprétation
Isabeau Blanche, Olivier Gervais-Courchesne, Mathieu Handfield, Maude Hébert, David Strasbourg, Anne Trudel
Conception
Leticia Hamaoui (assistance à la mise en scène), Julie Basse (conception lumières), Estelle Charron et Cloé Alain Gendreau (scénographie et costumes), Michael Binette (conception sonore), Charles-Antoine Bertrand-Fontaine (direction technique), Andrée-Anne Garneau (direction de production)