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En cette année 2023, pour une vingt-troisième fois, la Casa del Popolo, la Sala Rossa et la Sotterenea, qui s’envoient la main de part et d’autre de St-Laurent, ont laissé mugir pendant vingt-trois chaudes soirées de juin des cascades de suoni per il popolo jusque sur les trottoirs de la Main.
En général, la vingt-troisième année d’existence d’un être s’efface timidement derrière les flamboyants débuts de décennies et autres tape-à-l’œil jalons numériques consensuellement célébrés en grande pompe. Pourquoi ne pas souligner, pour une fois, en faisant quelques pas en amont pour mieux situer la présente édition, un anniversaire discret mais néanmoins significatif? Vingt-trois ans, c’est un âge de fougueuse jeunesse, mais déjà aussi de maturité. Pour un festival, c’est un temps suffisamment long pour que les générations ainsi que les évolutions stylistiques d’une scène s’entremêlent, et pour que les impressions fraîches et vives s’empilent sur les souvenirs, déjà auréolés de ce lointain qui élève au mythe.
Une chose, à en croire les récits, demeure égale à soi dans ses métamorphoses : l’âme du festival Suoni Per Il Popolo et des lieux qui l’abritent, animés par la petite et la grande histoire. La grande, c’est celle de l’institution culturelle charnière pour le développement économique, culturel et social de l’Italie contemporaine, qui donne son nom au Q.G. du festival. Certains savent sans doute que bien avant que le café, bar et salle de spectacle du boulevard St-Laurent ne devienne un lieu emblématique du Mile End, comparé sous certaines plumes au CBGB, les case del popolo qui lui donnent son nom et lui insufflent son esprit essaimaient déjà dans toute l’Italie.
Fondées en 1890, trente ans après l’unification du pays, alors que seule l’élite économique et politique voit ses conditions de vie améliorées grâce à la modernisation de l’État, elles constituent, pour les ouvriers et les paysans des différentes régions de l’Italie, des centres névralgiques d’entraide et d’éducation populaires. On y aménage bibliothèques, librairies et espaces de discussions ; on y distribue des journaux gratuitement. Servant dès l’origine et jusqu’à aujourd’hui de catalyseurs à l’activisme politique de gauche, elles prolifèrent après la Deuxième Guerre mondiale et contribuent à organiser la lutte antifasciste. Ces maisons du peuple sont aussi tout simplement des espaces conviviaux de création et de partage. On y organise des concerts, des pièces de théâtre, des repas collectifs, en collaboration avec les fermes locales, où rayonnent les produits de la terre : pâtes, légumes, fromages, vins et autres spécialités du terroir.
La petite histoire, plus près de nous temporellement et géographiquement, c’est celle du façonnage du Mile End actuel, mondialement reconnu comme un important creuset de tendances et d’innovations, mais qui hier encore constituait l’arrière-cour des notables citadins aux envies de délassement champêtre : c’est seulement au tournant du 20e siècle que la campagne au nord du Plateau connait une urbanisation très rapide. Arc-bouté sur St-Laurent entre l’est franco-catholique et l’ouest anglo-protestant, construit sur l’apport culturel des émigrés européens qui y forment aujourd’hui encore des communautés importantes -Juifs ashkénazes ayant fui les pogromes entre les années 20 et 50, Italiens, Grecs et Polonais débarqués au Canada dès le tournant du siècle et massivement après la guerre-, le Mile End est multiculturel et effervescent par essence. Son premier siècle de développement, porté par l’essor des entreprises du textile, a donné au quartier son hybridité identitaire, son ambiance teintée à la fois de l’art de vivre à l’européenne et de la rugosité, cristallisée dans les édifices industriels qui font sa signature, d’un très récent passé manufacturier.
L’évolution du Mile End vers sa vocation actuelle, amorcée dans les années 90, est un moment charnière de la formation de l’identité contemporaine de Montréal. L’industrie du textile, premier employeur montréalais jusque dans les années 60-70, est alors agonisante, conséquence de la mondialisation des marchés. Les grandes manufactures de briques rouges où s’activaient les tailleurs, dont l’iconique édifice Peck qui abrite aujourd’hui Ubisoft, sont désertées les unes après les autres. Le prix des espaces habitables et commerciaux chute. L’appel d’air, entraîné par cette vacuité soudaine, permet à un groupe de musiciens et d’artistes de tout acabit d’investir les immeubles désaffectés. Au sein des décombres, à l’aube d’un nouveau millénaire qui s’annonce peu réjouissant, cette génération se bricolera une communauté, une identité et un son singuliers, donnant lieu à l’essor de la scène indépendante montréalaise, acclamée pour son foisonnement et son inventivité, qui a vu émerger Arcade Fire (dont le premier album, Funeral, enregistré à Hotel2Tango, a littéralement mis Montréal sur la carte), The Dears, Metric, Handsome Furs, ...
Parmi les hauts faits de cette petite histoire, soulignons trois dates qui conduisent vers l'anniversaire souligné cette année. En 1995, la naissance du studio d’enregistrement Hotel2Tango, dont les locaux initiaux servaient d’appartement à Mauro Pezzente, membre de Godspeed You ! Black Emperor, et à sa compagne, Kiva Stimac, chef cuisinière originaire de Détroit. Le loft était déjà devenu, avant que le couple ne passe le flambeau à l’ami, ingénieur du son et musicien Efrim Menuck, bientôt rejoint par Thierry Amar (tous les deux aussi membres de GY!BE), Radwan Ghazi Moumneh (Jerusalem in my heart) et Howard Bilerman, un laboratoire créatif, servant de salle de spectacle, de local de pratique, de studio d’enregistrement et de galerie d’art. En 1997, la fondation d’un label fondé par et pour les artistes émergents, Constellation Records. Et puis, en 2000, encore une fois par Pezzente et Stimac, celle de la Casa del Popolo du 4873 St-Laurent, suivi de la Sala Rossa, de la Sotterenea et de feu la Vitrola, incubateurs de nouveaux talents et passages obligés de la scène indépendante à Montréal.
Suoni Per Il Popolo (« sons pour le peuple »), fondé en 2000 également par le couple, est en quelque sorte la floraison, la vitrine et le laboratoire de cet écosystème. Présentant encore aujourd’hui un contenu au moins à 50% canadien, il permet aux artistes d’ici, établis ou émergents, de tisser des liens avec le public et de faire la rencontre des figures de proue de l’avant-garde musicale d’ailleurs. Il accueille aussi chaque année au moins une tête d’affiche qui offre de la visibilité au festival auprès du grand public.
L'édition 2023 s’est terminé le 23 juin dernier, après 23 jours d’expérimentations musicales d’une très grande variété et richesse. Si les foules, il faut l'admettre, étaient d’une densité variable, la fraîcheur, la singularité et la pertinence de l’offre se sont maintenues tout au long à un degré très élevé. Voilà un bilan qui est à la fois de bon augure quant à la vitalité de la création et préoccupant du point de vue des circonstances qui favorisent l'épanouissement d'une scène expérimentale hors des circuits de l'industrie musicale mainstream. La précarité économique accrue de nos existences, sans aucun doute, exerce une pression constante à la fois sur les organisateurs d’événements de ce type, sur les artistes et sur un public pour qui l’achat de billets de concerts représente une dépense non négligeable. Il est bien connu que ce qui a fait le succès du Mile End, l'émergence d'un écosystème créatif attiré par le cachet unique de l'endroit et le faible coût des logements, est paradoxalement ce qui menace aujourd'hui la survie de ce même écosystème. Le quartier, comme tant d'autres, a connu une gentrification rapide et le coût des espaces locatifs a explosé. Les adresses devenues iconiques au cours des dernières décennies sont maintenant inscrites sur les circuits touristiques. Il faut bien admettre que l'esprit des lieux s'est largement muté en produit de consommation, mis à la disposition des visiteurs et des jeunes pros de la tech qui peuvent toujours se l'offrir. Il y a fort à parier, sans recourir à une enquête démocraphique sur le Mile End, que les artistes qui s'y produisent n'y résident pas majoritairement. Il reste que quelque chose de l'esprit des lieux était bien vivant au cours du festival qui vient de toucher à sa fin.
Pour terminer, simplement pour mettre l'eau à la bouche dans l'attente de la prochaine édition, quelques impressions en vrac, esquisses d'une vue synoptique qui hélas ne rend pas justice à la grande densité de l'offre... La verve et la grâce électriques de tous les participants de la soirée d’ouverture offerte par le Cypher. Le voyage intergalactique de Sun Ra Arkestra à l’Église St-Denis qui, malgré quelques parasites sonores indésirables, a transporté la foule avec une maestra et un flegme surhumains dans un lieu solaire et magique au-delà de l’espace et du temps. L’onde de choc violente et fort à propos du New York Review of Cocksucking. La convulsive, athlétique et précise performance aux percussions de Marshall Trammell de l'excellent White People Killed Them, d’un dévouement mystique à faire pleurer. L'humour décalé et le rythme étonnant et irrésistible de Ishi Tishi. Le long et poignant hymne à la liberté, entre célébration et exorcisme, déclamé, chanté et improvisé par Matana Robers et son orchestre. La superbe mais boudée soirée au sous-sol de la Sotterenea rassemblant judicieusement le nouveau venu mais solide Le Travailleur, les sournoisement délicieux Snake of Rhyme ainsi que le vétéran, bizzaroïde et très en forme Man Made Hill. L'expiatoire, frénétique et inspirée envolée bruitiste offerte par le trio Snikt à la Casa del Popolo. Et finalement l'opéra Tom-Tom, An Epic of Music and the Negro, premier opéra composé par une femme noire, Shirley Graham du Bois, en 1932, puis remanié par Julie Richard, présenté à l’écran au public rassemblé à la Sala Rossa sous la forme abrégée d’un moyen-métrage de 50 minutes. Bien que substantiellement réduite dans la durée et les moyens déployés, la représentation, symboliquement et émotionnellement chargée, a conquis le public par la sincérité et le talent des interprètes.
On attend avec impatience l’édition 2024 de Suoni Per Il Popolo. En attendant, on se tient à l’affut de la programmation régulière de la Casa del Popolo, de la Sala Rossa et de la Sotterenea, qui présentent aussi parfois des spectacles hors-saison du festival.