Je ne suis pas une critique culturelle; je suis une scientifique qui aime et apprécie la culture, c’est différent. Par mes papiers qui décrivent mes soirées au théâtre, au cirque ou à des concerts, je vous partage ce que j’ai ressenti, comme une spectatrice et non comme une professionnelle. Pour ce qui est de la danse, pratiquant moi-même cet art depuis plusieurs années, je me sens davantage dans mon élément en donnant mon appréciation.

Mais ce que vous lisez en ce moment est pour moi, une première. « Qui veut parler du nouveau CD de Ivy ? » a-t-on demandé? J’ai levé la main. Moi. Un CD de slam. Ben coudon… Alors, voilà. Je me lance.

J’aime

D’abord, d’entrée de jeu, sachez que j’aime. Vraiment. Ce qui m’a accrochée en premier, c’est la musique. Oui, sur le CD d’un slameur, la musique m’a conquise. Les musiciens sont excellents et bien qu’ils ne soient que trois, on croirait parfois entendre un petit orchestre tellement on entend d’instruments. Oui, c’est possible qu’une superbe musicalité accompagne des textes parlés.

Dès la première écoute, j’ai été impressionnée par la façon dont Ivy jongle avec les syllabes, avec les mots, pour en former d’autres que ceux qu’on entend au premier abord. Les sons défient notre compréhension. C’est amusant et fascinant. Et le message passe.

Puis, il y a le rythme. Sur les 13 pièces de l’album, chacune a le sien; pas une ne se ressemble (même si certains disent que le slam, c’est tout le temps pareil…). L’une rappelle un reel québécois, l’autre, une samba; une troisième est jazzé, l’autre, a cappella…

Les artistes

Ivy, c’est Ivan Bielinsky. Lors de ses études en lettres, il a constaté que l’art avait peu d’impact sur le monde. Il s’est donné la mission de changer les choses, avec les mots. D’après le site internet officiel qui lui est consacré, on apprend que le slam et lui ont fait alliance en 2004. Avant, il était chanteur et a endisqué trois fois.

Au fil du temps, sa passion se transforme et il la fait connaitre par différents moyens. Au Québec, il invente la première scène slam francophone montréalaise, il fonde Slamontréal et la LIQS (Ligue québécoise de Slam). Slamérica, son premier CD de slam est sorti en 2008; a suivi Hors des sentiers battus en 2012. Et voici S’armer de patience, le résultat de deux ans de travail pour unir poésie et musique.

Ivy écrit ses textes – sauf une pièce qu’il a co-écrit avec Michel Rivard, mais il sait s’entourer pour compléter son œuvre. À part pour quelques-uns qu’il a lui-même mélodiés (tiens, l’influence Ivy : j’invente des mots!), la mise en notes de la plupart des textes est exécutée par le trio MISC, formé du pianiste et claviériste Jérôme Beaulieu, du batteur et percussionniste William Côté et de Philippe Leduc à la contrebasse et à la basse électrique. La réalisation de l’album est d’Yves Desrosiers.

Les pièces

J’ai le droit de dire ça – et vous aurez les vôtres : mes préférées sont les deux premières.

MON PAYS, parce qu’elle donne le goût de bouger, doucement, comme une balade… entraînante à partir d’un thème connu. Oui, cette pièce se nomme comme LA chanson du grand poète québécois Gilles Vigneault. Elle commence d’ailleurs avec un extrait de ses propos lors du Tout le monde en parle du 13 avril 2014 : « C’est étrange de voir un peuple qui refuse son propre devenir. »… Voyez le genre de message?

QUÉBÉCŒUR est la chanson avec le plus de jeux de sons. Le texte raconte le Québec et ses régions. Voici l’un des couplets avec lequel Ivy a dû bien s’amuser en faisant virevolter mots et sons :

On est capAbitibi

De squatter l’Témiscouata

De rouler la Gaspésie

Dans un dix roues – hein, Noranda?

En campagne, dans les villes

Le citoyen le sait-il?

On est mieux réunis

Sur le dos des États-Unis

Car il faut long œil pour que Charles voie

Doigté pour glisser l’anneau d’hier

Se sentir à Saguenay et suffisamment Fjord

De jaser à contre-courant de l’Amérique du Nord.

Vous avez repéré toutes les villes ou régions? (Abitibi, Témiscouata, Gaspésie, Rouyn-Noranda, Sept-Îles, Longueuil, Charlevoix, Lanaudière, Saguenay… En ai-je oublié?) Écoutez bien : vous entendrez les tamdilidi tadilidilidai d’un autre chanteur bien québécois dans l’âme : Raoul Duguay.

En plus de ces deux artistes, Ivy en a sollicité d’autres pour faire des participations éclairs dans certaines pièces : Marjo, Michel Rivard et Tanya Evanson – en personne, puis John Lennon et Rimbault, par des extraits de leurs textes.

D’après mon interprétation, les messages à retenir sont les suivants : réagir à ce qui nous déplaît et ne pas se laisser faire, regarder ailleurs que notre propre nombril, discerner le vrai du faux et ne pas se laisser berner, faire la paix et non la guerre, ne pas compter sur les autres pour faire son propre bonheur…

Un catalyseur

Ivy, c’est plus qu’un slameur qui endisque sa poésie ou la partage en spectacles : des jeunes de certaines écoles, du secondaire à l’université, ont pu profiter de ses ateliers.

Tiens, je viens de me souvenir de la raison pour laquelle j’ai accepté de donner mon appréciation sur cet artiste. Il y a quelques années, j’avais ouï-dire qu’il était impliqué dans une cause qui me tient à cœur depuis longtemps : la fondation du Dr Julien et son Garage à musique. J’ai retrouvé la vidéo réalisée pour l’occasion de la part d’un gars généreux : vimeo.com/64953599.

Il ne vous manque qu’un petit élan pour agir? Ivy est là. Ses textes sont percutants et donnent le goût de faire bouger les passifs de ce monde. Une fois que vous les aurez entendus, il ne tient qu’à vous de vous mettre debout et de propager la bonne nouvelle.

Cet album est dédié à ceux et celles qui s’arment de patience pour exister selon leur cœur et leurs idées. C’est écrit sur la pochette, et c’est tellement vrai.

Bonne écoute.

Des places pour le spectacle de lancement sont disponibles sur atuvu.ca