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Il y a environ un mois, alors que nous étions toujours en plein cœur de notre rude et iconique hiver, Evelyn Charlotte Joe me donnait rendez-vous pour un café matinal dans l’un des endroits les plus consensuels et réconfortants de notre grand pays. Rencontre des plus Canadiennes et ordinaires, à ceci près qu’il était autour de 14h et que notre attention s’est vite laissée emporter loin des beignets chauds.
Notre rendez-vous avait lieu quelques jours après le spectacle, organisé par Evelyn au Turbo Haüs, auquel j’ai assisté, où son projet Pinksnail partageait l’affiche avec Crabe (Mertin Poulin-Légaré et Gabriel Lapierre) et Ky (Ky Brooks, membre de Lungbutter).
Pinksnail et Evelyn étaient une découverte pour moi. J’ai été mise au courant de leur existence peu de temps avant le concert, voyant qu’ils allaient monter sur scène avec ces deux figures plus connues de la scène locale. J’ai plongé dans tout ce qu’il y avait à explorer sur leur Bandcamp, puis j’ai voulu en voir et en entendre plus. C’est ce qui a guidé mes pas d’abord vers le Turbo Haüs, puis vers ce Tim Hortons de Verdun par un samedi de février glacial.
La conversation avait tendance à nous échapper naturellement et à s’envoler, sous l’effet de toutes les passions qui animent Evelyn, et il fallait se discipliner pour regagner un terrain factuel et personnel. À travers toutes les sinuosités et digressions, malgré tout, il s’est dessiné quelque chose comme un fil conducteur assurant la continuité : la centralité pour iel de la question de la filiation.
Pour expliquer cette centralité, il faut dire quelques mots sur le parcours personnel d’Evelyn. On peut dire qu’iel est allé à deux écoles différentes, qui ont contribué à l’éveiller à propos de cet enjeu.
D’abord, celle de la communauté DIY, avec laquelle iel est entré en contact dès l’adolescence, en fréquentant la scène locale de Cambridge, en Ontario. Evelyn m’apprend que cette scène a connu au début des années 2000 une sorte d’âge d’or, se positionnant à la fois comme un vivier de talents et un arrêt obligé pour les groupes canadiens du circuit punk et hardcore.
C’est à cette époque qu’iel a découvert, musicalement et personnellement, le groupe Tugnut, apparu à Cambridge comme un vent de fraîcheur, porteur d’énergie brute et d’expérimentations sonores, à une époque où la déferlante emo commençait à s’essouffler et ennuyer. Les membres du groupe, de près de dix ans son ainé, avec qui iel organisait des concerts et jouait de la musique, lui ont appris qu’il était possible de se tailler une place dans l’industrie et de choisir, malgré les aspects moins gratifiants que cela comporte, de placer la musique au centre de sa vie.
C’est aussi au contact des communautés anarcho-punk de Cambridge, Hamilton et Toronto, autour desquelles iel gravite depuis l’adolescence, qu’Evelyn a développé, entre autres choses, une conscience de l’importance politique de la musique et de l’art, dans leur capacité à créer et à entretenir une synergie au sein d’un groupe, à provoquer des habitus déterminés. Iel y a développé aussi un besoin d’examiner et de critiquer les idées reçues, les pratiques, rituels et savoirs transmis par la tradition.
Un peu plus tard dans sa vie s’est ajouté à cette impulsion première un intérêt pour le jazz, musique émancipatrice et musique de protestation bien avant l’arrivée du punk et de ses dérivés, deuxième école d’où iel a tiré inspiration et savoir pour le développement d’une pratique artistique et humaine.
Ce n’est cependant pas sur les bancs de l’école (qu’iel a fréquenté à un moment de sa formation), mais au contact du pianiste, compositeur et pédagogue de vocation Barry Harris et de l’un de ses disciples basé à Toronto, qu’Evelyn a fait ses classes. Le musicien originaire de Détroit, qui côtoyé toute sa vie les plus grands (Thelonious Monk, Miles Davis, Cannonball Adderley, …) est décédé en 2021 à 91 ans, quelques jours seulement après avoir livré à ses élèves son dernier enseignement. Il a consacré une partie de sa carrière à transmettre, dans des cours ouverts à tous à prix abordables, tout un pan de savoir concernant l’histoire et la pratique du jazz, constitué par les premiers maîtres puis laissé de côté par les institutions d’enseignement officielles.
Evelyn est aujourd’hui basé à Montréal et sa vie professionnelle est partagée entre deux activités principales, à travers lesquelles iel paye à sa façon son tribut aux communautés qui lui ont permis de croître : l’enseignement et la création. Iel donne des leçons de musique privées et enseigne au sein du English School Board of Montreal. Il y a un an, iel organisait aussi des ateliers d’improvisation, dans une formule plus amicale et informelle, où il s’agissait de passer au suivant l’apprentissage reçu de Barry Harris et de permettre à des personnes et à des artistes de se développer.
Puis il y a, bien sûr, entre les sessions d’improvisation et la collaboration avec d’autres artistes, le projet Pinksnail, amorcé il y a un peu plus de quatre ans déjà, dans lequel Evelyn se permet pour la première fois de s’engager dans une voie créative personnelle. Toutes les chansons, musique et paroles, ont été écrites et enregistrées en solo. Il s’agissait d’abord d’une simple pratique quotidienne, sorte d’entraînement et d’exutoire, qui avait la même fonction que celle qu’un journal intime ou une séance de gym ont pour d’autres.
C’est une visite fortuite de Jory Strachan, connaissance de longue date, à l’appartement où Evelyn habitait à Hamilton en 2018, qui a donné au projet une autre tournure et servi d’élément déclencheur au déménagement à Montréal. Après avoir entendu les enregistrements de Pinksnail en cours d’élaboration à l’époque, Strachan a appris les tracks -plutôt complexes- de batterie, composées et interprétées alors par Evelyn, et proposé de l’accompagner en concert.
Il s’en est suivi une première tournée ontarienne et plusieurs dates dans les maritimes. Entre temps, une autre connaissance de longue date, Naomi McCaroll-Butler, rencontrée dans le milieu de l’improvisation jazz -on peut l’entendre au sein du Jeremy Dutcher’s band, s’est jointe au groupe également (voix et clarinette basse). « The brain, the brawn and the beauty » étaient enfin réunis.
Le concert auquel j’ai assisté en février était le deuxième donné par la formation à Montréal. Sur les enregistrements disponibles sur Bandcamp -5 EP publiés depuis 2020-, on entend la richesse et la variété des influences d’Evelyn. Les expérimentations bruitistes DIY s’entremêlent avec des tracks de batterie techniques, précises et complexes. Les accents folk-punk et emo côtoient une énergie à la fois brute, sensible, naïve et joueuse. On pense, pour donner quelques repères sonores connus, à Conor Oberst, Daniel Johnston, Sparklehorse.
Sur scène, ce son hétéroclite est livré par le trio avec fougue et cohésion. On se sent accueillis comme à la maison par le maître de cérémonie, dans une ambiance mi-folk-protest-song/mi-clownesque. Et en prime, au Turbo Haüs, dans un esprit festif de convivialité, le groupe avait appelé en renfort des amis de la communauté pour terminer la soirée en apothéose : Yuna Lateral à l'alto, James Goddard au saxophone alto, Literal Hell au violon et Marcel Desfois à la trompette.
On attend avec impatience, donc, que le groupe récidive. On se tient à l'affût des prochaines sorties et dates de concert, qu’on ne manquera pas de présenter sur cette plateforme.