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Le programme de jeudi soir à la Sala Rossa promettait une expérience audiovisuelle brutale, un Frankenstein sonore fait de tous les rebuts et excroissances de la musique populaire du dernier siècle, prêt à broyer le public d’une étreinte de force démesurée. C’est d’ailleurs sous ce motif qu’un ami a penché à la dernière minute pour cette offre. « J’ai envie de violence », disait-il. La violence est un plat qui se mange chaud, surtout par une froide soirée pluvieuse de février.
Jodie Jodie Rogers
La soirée s’est ouverte avec Jodie Jodie Rogers, ingénieur diplômé de McGill (!) qui comme beaucoup d’autres s’est découvert une nouvelle vocation pendant la pandémie, en l’occurrence celle d’explorateur des territoires sonores inexplorés aux confins du rap et du punk. Se déclinant facétieusement dans toutes les tonalités entre hardcore abrasif et pop racoleuse, cette première partie aigre douce à la férocité soft offrait un amuse-bouche très à propos avant une suite un peu plus coriace et consistante.
Dreamcrusher
En deuxième partie nous avons été gratifié de la présence de Luwayne Glass, alias Dreamcrusher, figure bien connue de la scène expérimentale new-yorkaise, où il a fait son entrée en 2015 avec plus de 100 spectacles donnés en une seule année. Ceux qui prenaient encore les choses à la légère ont dû ravaler leur sourire désinvolte. Pendant plus de trente minutes, on a pu assister à un « écrasement d’avion », comme l’artiste lui-même le décrit en entrevue. Ou plutôt, je dirais, à l’anéantissement du rêve d’un refuge encore possible : celui de la musique comme lieu de communion. Pendant plus de trente minutes, la foule, plus ou moins prête pour l’expérience, a encaissé avec un mélange de stupeur et de plaisir l’onde de choc et les harangues ponctuelles de l’artiste (« If you’re gonna just stand like this, you’d better fuck off »), dans une salle obscure et enfumée littéralement saturée par la décharge sensorielle, amplification suffocante de la texture -sociale et sonore- de la postmodernité urbaine.
Deux procédés visuels et un procédé sonore maintenaient une esquisse de figuration dans ce chaos abstrait et technique : des faisceaux de lumière stroboscopique blanc strident et une autre lumière accrochée au micro ; les quelques sons ou mots, prononcés, criés ou chantés par l’artiste. La présence humaine ne s’évanouissait donc pas entièrement. Les corps dans la foule, dont le mouvement, privé des éléments unifiant du rythme et de la mélodie, ne trouvait aucune façon de se synchroniser, étaient découpés dans leur juxtaposition mécanique par les faisceaux. La silhouette et les mots du maître de cérémonie, sur fond de fumée et de cacophonie, donnaient une forme à l’irruption que tout ce rituel, semble-t-il, cherchait à faire advenir : celle d’un Autre inquiétant, que n’arrivent à exprimer ni le langage conventionnel de la musique, ni celui de la parole. Au sein de la destruction de tout sens familier ou rassembleur porté par la musique, au sein de l’impossibilité d’une communion s’est donc produit quelque chose de peut-être plus vrai. Provoqué par l’expérience partagée et intensifiée de la révolte et de l’inadéquation, j’ai cru entendre l’appel, nécessaire, à un horizon ouvert pour l’expression de ce qui aujourd’hui demeure exclu et réprimé.
Backxwash
C’est ici, à mon avis, que le spectacle culminait, autant du point de vue de l’intensité dramatique et sensorielle que du sens. Il était difficile après cette traversée exigeante de se replacer dans la disposition adéquate à une prestation plus conventionnelle. Mon esprit flottait toujours, malheureusement, tout au long de la performance caustique, puissante et enflammée de Backxwash, au-dessus des cendres à peine refroidies de la salle tout juste dynamitée par Dreamcrusher. Sans tenir compte du degré de reconnaissance ou de popularité des artistes, ou encore de la pertinence de rendre à la tête d’affiche -figure de proue du rap expérimental qui jouit à la fois d’une reconnaissance officielle et underground-, les hommages dus à son appartenance à la scène montréalaise, il me semble que de ce point de vue le line up manquait un quelque peu de cohérence.
Vendredi, mon ambivalence congénitale a bien failli me faire passer à côté du beurre et de l’argent du beurre. Je me dirigeais de façon résolue et raisonnable à la Casa del popolo quand soudainement, dans un élan de démesure, il m’est apparu possible de tout voir en même temps. Le programme à la Sala Rossa (Adam Green + Night Lunch + Kristian North) commençait une heure plus tôt que celui de la Casa del popolo (Odonis Odonis + Renonce). Peut-être allais-je pouvoir assister aux prestations de Night Lunch et Adam Green sans manquer une seconde de Odonis Odonis, qui occupait la première position dans mon ordre de priorités ? Les tergiversations téléphoniques provoquées par cette folle ambition m’ont couté le regret de manquer une petite partie du doucereux et enjôleur Night Lunch, auto-proclamée et bien nommée « concotion syrupeuse rétro-futuriste » formée de Lukie Lovechild (voix et guitare), Wesley Dunphy (clavier), Marley Kay (voix et basse), et Sailor (batterie).
Adam Green
J’ai été énervée suffisamment vite ensuite par l’anti-folk à l’irrévérence endimanchée et au comique convenu d’Adam Green -qui à mon avis n’ajoute pas beaucoup de piment à la sauce si bien relevée de Leonard Cohen, Loudon Wainwright et Jonathan Richman- pour me rappeler l’urgence de ne manquer aucune seconde de Odonis Odonis. À la défense de Green, il semble que je n’avais pas beaucoup d’appétit après la soirée de la veille pour ce genre d’ironie musicale un peu mièvre.
Odonis Odonis
J’ai donc pu assister, de justesse (la salle était comble quand je suis arrivée à la porte), à la prestation à la Casa del popolo de Odonis Odonis (Dean Tzenos et Denholm Whale), formation torontoise électro-industrielle active depuis 2009 et bien établie. Les vagues tantôt brutes, tantôt planantes de pop évanescente et dansante habillées de distorsion abrasive étaient exactement ce dont moi et la foule -aussi éclectique et décalée que le son-, et peut-être aussi l’humanité, avions besoin à ce moment-là.
J’étais dans l’impossibilité (déchirante) pour d’excellentes et implacables raisons de voir des concerts le samedi. Mention spéciale pour le passage à l’Escogriffe de Lydia Lunch, chanteuse, poétesse et actrice, active depuis les années 1970 au sein de la formation no-wave new-yorkaise Teenage Jesus and the Jerks. Je suis convaincue que ce spectacle aurait parfaitement bouclé la boucle de cette brève traversée des paysages actuels et passés de l’avant-garde musicale.