Entrevue avec Julia B. Laperrière et Sébastien Provencher, chorégraphes

Julia B. Laperrière et Sébastien Provencher présentent du 2 au 5 décembre chez Tangente le spectacle What will come. Se questionnant sur les forces qui nous tiraillent entre le chaos et notre tendance à poser des étiquettes, les artistes, tous deux s’identifiant comme queer, font une proposition aux allures de science-fiction en regard au décloisonnement qui s’empare de toutes les sphères de notre société.

Julia et Sébastien travaillent ensemble sur la catégorisation depuis 2016. Leur spectacle précédent, L’apologie du prince charmant, portait sur les clichés de conte de fée à la Disney et les stéréotypes de genre qu’ils nous imposent sournoisement. Pour ce spectacle, ils ont adopté une approche plus large et plus abstraite, où l’improvisation et la scénographie occupent un rôle moins codé et plus conceptuel. 

Après des années de recherche, ils constatent que nos tendances à la catégorisation sont un réflexe de survie, qui a son but, mais qui peut devenir dangereux lorsqu’il est limitant. En abordant cette thématique sous l’angle de l’entropie - principe de thermodynamique voulant que tout tende vers le désordre - ils explorent les tensions du chaos organisé qu’est notre univers.

Le spectacle 

Dans un environnement en noir et blanc, aseptisé, aux allures de monde orwellien, naissent de boîtes nos deux danseurs. On ne saura jamais exactement où ils sont, qui ils sont, s’ils se connaissent, s’ils sont humains ou concepts. En naissant ils explorent maladroitement leur corps et leur environnement, d’abord en rampant puis lentement se redressant. Leurs mouvements reflètent leur univers: presque robotiques, sans finesse.

Leur vie dans cet univers est rapidement envahie d’une tension entre la scénographie et la danse. En manipulant les objets, en se déplaçant, ils provoquent ou subissent leur environnement. Est-ce que la musique et les éclairages suivent leurs corps ou bien ce sont les corps qui suivent la musique et les éclairages? Dans cette portion improvisée, le DJ Bráulio Bandeira et le concepteur lumière Nicola Dubois improvisent en direct et Julia et Sébastien adaptent la chorégraphie aux effets sonores et lumineux. 

Le bpm (battement par minute) augmente et nos corps commencent à être influencés par la musique. Il y a comme un trop-plein de mouvements à l’intérieur du corps qu’on arrive plus à contenir.

Julia B. Laperrière

C’est une phase frénétique de déséquilibres, de chute qui s'installe. Afin de survivre dans cet univers, les deux êtres deviennent complices. C’est en s’adoucissant, en devenant plus ronds, plus organiques, plus humains au final, qu’ils survivront. 

Perspectives queer

Pour Julia et Sébastien, qui s’identifient comme queer, la catégorisation est un couteau à double tranchant. Pour eux, le besoin de se défaire des étiquettes de genre «homme» ou «femme», passe inévitablement par une phase de sur-étiquettage:

Ça tend à changer, mais c’est sûr qu'en s'émancipant des catégories, y’a des nouvelles catégories qui se créent. 

Sébastien Provencher

Par là, ils font référence aux nouvelles identités de genre et aux termes liés aux orientations sexuelles qui apparaissent chaque jour pour permettre à des personnes qui ne s’identifient pas à l’hétérosexualité ou au genre qu’on leur a assigné à la naissance de s’autodéterminer. Certains termes que les classiques « LGBT » - Lesbiennes, Gais, Bisexuels et Transgenres - peinent à représenter comme: asexuel (qui ne ressent pas d’attirance sexuelle, ou très peu), pansexuel (dont l’attirance sexuelle est indépendante du genre de la personne désirée), non-genré (qui ne s’identifie ni comme homme, ni comme femme), etc. Pourtant, le mouvement queer comporte également une tendance opposée: certaines personnes s’y identifient simplement comme «queer», un terme au sens large qui désigne ceux qui ne souhaitent pas porter d’étiquette. 

C’est intéressant que même dans une perspective queer tu peux t’identifier «queer», qui est plus générale, mais y’a des sous-catégories qui se créent et se créent et se créent.

Sébastien Provencher

Inventer une étiquette pour se défaire des étiquettes peut sembler paradoxal. Pour les deux artistes, ce qui semble contradictoire est tout à fait logique puisque dans un monde qui fonctionne en nommant les choses, toute chose doit se trouver un nom. 

C’est important pour certaines personnes d’avoir une catégorie à laquelle ils peuvent s’identifier et appartenir, mais de la même façon pour certaines autres personnes queer, ça reproduit des systèmes d’oppression. Pour nous c’est pas de dire si c’est bon ou c’est mauvais, mais c’est d’offrir une réflexion par l’art sur ce que ça crée. 

Julia B. Laperrière

La solution contre l’oppression? L’humain, la douceur, l’amour. Par des mouvements plus ondulatoires, plus doux, les danseurs nous montrent une piste pour préparer ce qui viendra, What will come.

Chorégraphes et amis

À l’instar des protagonistes de leur spectacle, Julia et Sébastien offrent un bel exemple de complicité et d’acceptance. Amis de longue date, c’est dans la pleine confiance qu’ils réussissent à ressortir le meilleur d’eux-même, acceptant de prendre des risques qu’ils ne prendraient pas seuls et abordant leur travail sous un nouvel angle. 

Chaque fois que je travaille avec Sébastien, ça invite de la douceur chez moi, ça invite de la précision. Je trouve qu’il a un sens de l’esthétique plus poussé que moi. Ça c’est toutes des choses que j’apprécie. Surtout, on travaille dans le plaisir pis le rire pis ça c’est vraiment agréable. 

Julia B. Laperrière

What will come sera présenté à l'Espace Orange de l'Édifice Wilder du 2 au 5 décembre, incluant une période de discussion avec les artistes suite à le représentation le 3 décembre. Plus d'informations sur les spectacle au https://tangentedanse.ca/evenement/laperriere-provencher/

Vous êtes invités à vous procurer vos billets au https://tangentedanse.tuxedobillet.com/main/julia-b-laperriere-et-sebastien-provencher