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La série de textes Poésie du quotidien présente des sujets prosaïques avec une teinte poétique.
Steve, qui fréquente Martine depuis une semaine, l’a invitée un après-midi à une terrasse d’un café. Martine se tourne vers Steve et, chancelante, picore son croissant comme un petit oiseau à 20 cm de lui, tout en le fixant. « Mais qu’est-ce qu’elle attend de moi? », se demande Steve. « Que je la regarde manger, trop inquiète pour bouffer sans être regardée? Ou est-ce peut-être une pimbêche, du genre qui souhaite que l’on appréhende une critique du café de la part de sa Majesté, afin de déstabiliser le prétendant. » Peu importe, elle énerve Steve au point d’envisager de foutre le camp. Pour le « coup », il tient le coup. Martine poursuit, en palpant maladroitement un bout de croissant en tremblotant, pour montrer sa fragilité, ou sa pseudo-sophistication, avec la technique de l’auriculaire en l’air. Exaspéré, il décide de s’en aller. Steve, croit que lorsqu’il va quitter, qu’elle soit pimbêche ou dépendante, Martine va s’écrouler.
Enfin Steve se lève et Martine, par stratégie, ne sourcille même pas. Soudainement, après quelques dizaines de mètres, son égo lui fait faire demi-tour et Steve revient s’asseoir. Il prend une gorgée de café, en gargouillant, à 20 cm de Martine, tout en tentant de déceler un signe d’attachement chez elle. Enfin, elle prend sa main, mais brusquement, dans le but de lui montrer que la partie n’est pas pour autant gagnée. En plus, elle le traîne au cinéma. Première réplique du film, Martine se tourne vers Steve et le fixe, pour percevoir sa réaction. Horripilé, il regarde droit devant lui et ne bouge pas. S’il y a une chose que Steve trouve insupportable, c’est bien cela. De toute façon, jamais il ne réagit, ni applaudit, afin que les gens croient que rien ni personne ne l’impressionne, et qu’il pourrait vraisemblablement en faire autant; même lorsque c’est Federer qui est à l’œuvre. Sauf dans le cas d’Eugénie, il est trop pudique pour cela.
Finalement, Martine, fille extrêmement perspicace s’il en est une, découvre le pot aux roses. C’est un narcissique. Après le classique « Ça ne marchera pas », elle ne peut, après seulement une semaine de fréquentation, enchaîner: « On pourrait rester amis ». Donc, elle quitte dare-dare. Steve n'essaye pas de la retenir. Il préfère rester jusqu’à la fin de la projection du film J’ai tué ma mère. Steve continue d’aller de conquête en conquête, et se retrouve souvent seul dans des salles de cinéma, à se demander comment on peut le refuser, lui qui a tant à offrir? Il n’arrive pas à réaliser, que de peur d’être blessé et rejeté, il ne fait que tenter de supporter et de camoufler le poids de plus en plus lourd de son ignorance d’égocentrique. Du coup, cette situation anxiogène trouve sa soupape à travers des accès de colère et d’agressivité. Surtout, cela ne lui laisse ni temps, ni espace, pour offrir quoi que ce soit à qui que ce soit. Steve tente par toutes sortes de façons superficielles d’être encore plus séduisant. Il se fait même teindre en blond.
Dans un mauvais jour en voiture, s’en allant nulle part, l’écume à la gueule comme un pitbull, il prend en chasse une voiture électrique qui n’a pas mis son clignotant. Il a toujours trouvé que c’était un très grand manque de civilité. Dans la poursuite, Steve grille un feu rouge et fauche un cycliste, qui lui, renverse deux piétons. On croit en une attaque terroriste, mais Steve ne se suicidant pas, on écarte vite cette hypothèse. Dans la cohue, Steve aperçoit Denis Coderre, dans la voiture qu’il pourchassait. La cycliste est Suzanne Lareau, PDG de Vélo Québec, sauvée in extremis par son casque mais qui écope d’une amende de $239.00, plus frais de $112.00, car un réflecteur qui a été brisé dans l’accident manque à son vélo. Une des deux piétonnes, ressemblant étrangement à la mairesse, a subi les morsures d’un chien pitbull abandonné durant la longue attente de l’ambulance, en plus des ecchymoses dues à la chute. Elle est coincée dans le trafic sur le chemin Côte-Ste-Catherine, dû à la nouvelle réglementation interdisant le transit sur la voie Camillien Houde.
Steve, reconnaissant la deuxième piétonne, se précipite vers Martine qui baigne dans son sang. Elle le regarde et lui murmure de s’approcher, afin qu’elle puisse l’embrasser comme elle en avait souvent rêvé. Au contact de leurs lèvres, Steve, se réveille enlacé par Martine dans leur condo du plateau, qu’ils habitent depuis 3 ans déjà.
- Qu’est-ce que tu étais agité dans ton sommeil, mon chéri!
- Un très mauvais rêve qui m’a rappelé de très mauvais souvenirs. Tu sais Martine, ça n’a pas été facile au début.
- Non! Une fois, j’avais même quitté la salle durant le film J’ai tué ma mère. Je ne pouvais plus supporter ton silence et ton port altier. Remarque, tu m’avais vite rattrapé. En plus ton attitude a alors changé. Comme si c’était le « coup » de la dernière chance.
- C’est vrai, je me suis métamorphosé en quelqu’un qui n’était pas moi, pour nous permettre de nous arrimer ; effectivement pour les mauvaises raisons. Ce mauvais rêve me l’a rappelé. Martine?
- Oui Steve.
- Est-ce qu’il nous reste du lait?