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Un vent qui décoiffe souffle présentement au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et selon les pronostics, il ébouriffera jusqu’au 24 février. La pièce « J’accuse » d’Annick Lefebvre est présentée pour une deuxième saison dans une distribution qui a le pouvoir d’émouvoir, avec les comédiennes Catherine Trudeau, Debbie Lynch-White, Catherine Paquin-Béchard, Alice Pascual et Léane Labrèche-Dor.
Ayant assisté à une mise en lecture de la pièce « Ce samedi il pleuvait » du même auteur, je savais grosso modo à quel type d’écriture je devais m’attendre. Annick Lefebvre ne mâche pas ses mots: tant dans la vie que dans ses écrits, elle s’exprime sur un ton direct et incisif.
Annick Lefebvre
Construite en cinq monologues distincts qui n’ont en commun que l’âge, le sexe des personnages et la continuité de la trame dramatique, cette pièce est le cri du cœur de cinq femmes qui se dénudent dans leur douleur, leurs désirs et leurs aspirations. Très actuel, ce texte illustre bien les difficultés d’adaptation des jeunes femmes dans une société qui a perdu pied et s’est déshumanisée.
Interpellée par l’intérêt accordé à cette pièce, j’ai rencontré Sylvain Bélanger, directeur artistique du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et metteur en scène de « J’accuse ».
Sylvain Bélanger
Esther Hardy : Qu’est-ce qui motive un directeur artistique et même un metteur en scène à choisir de produire une pièce comme « J’accuse »?
Sylvain Bélanger : Je lis énormément de pièces. Je suis à la recherche de textes comme celui-là qui est profondément théâtral, contrairement à un texte réaliste ou télévisuel. Donc, je cherche de ces langues-là qui ont besoin de la scène pour trouver une dimension quasi surhumaine, qui ont besoin du médium théâtral pour exister.
Quand j’ai lu le texte de « J’accuse », j’avais deux monologues sur les cinq actuels, les trois autres allaient suivre. Je connaissais l’écriture d’Annick pour son texte « Ce samedi il pleuvait », précédemment présenté aux Écuries. J’ai été charmé en lisant les deux premiers monologues et estomaqué par la puissance de cette langue-là qui est pour moi une vraie langue théâtrale. Le projet spécifiait qu’elles sont des femmes trentenaires qui ont décidé de ne pas avoir d’enfants, qui ont des difficultés à se réaliser dans le travail et qui ont plein de choses à dire sur le Québec, sur leur sentiment, leur inadéquation, et ayant de la difficulté à prendre leur place ou à s’épanouir. De plus, nous avons une responsabilité collective de les entendre.
Alice Pascual
Alors, on programme pour que collectivement on en prenne conscience. Dans quel Québec vit-on pour que ces femmes-là vivent ça? Sans faire de généralité évidemment, puisque c’est une proposition de l’auteure. Pour moi, une profonde peine motivait leur valse d’accusations, leurs émotions, leur colère, leur frustrations, etc.
Alors comme metteur en scène, ça me donne justement de la place pour travailler ce qui motive la peine et les frustrations, la colère et les paroles qui dépassent la pensée. C’est par cette porte là que j’ai trouvé la ligne directrice pour travailler l’incarnation de ces cinq femmes qui existent pour vrai.
Catherine Trudeau
EH: Donc, il y a une conscience sociale derrière la motivation de programmer un texte ?
SB : Définitivement, c’est omniprésent dans mon travail en général. En dirigeant une institution, j’ai une responsabilité publique. C’est un espace d’échange, une maison d’accueil où on se met ensemble pour réfléchir sur le Québec contemporain. Donc, mon travail est d’agir comme un genre de paratonnerre afin d’essayer de capter l’air du temps avec ce que mes voisins m’écrivent. C’est sûr que je lis souvent des parties de pièce au moment où je programme la saison. C’est là qu’on peut déceler le souffle, la justesse ou le propos urgent à partager. C’est mon travail de capter des écritures qui sont des révélateurs de l’air du temps. Ce qui est très différent des écritures à la mode. C’est ce que j’appelle de « travailler avec des carottes anthropologiques du présent ».
Catherine Paquin-Béchard
EH: Pour le choix de la distribution, est-ce que c’est toi qui a décidé ou Annick avait déjà une idée?
SB : On en a discuté, mais j’avais déjà une idée. Pour certains rôles, je posais la question à Annick. Comme entre autres Debby Lynch-White, je ne la connaissais pas, c’est elle qui m’en a parlé. Sinon, j’avais une ligne directrice, je voulais cinq filles qui avaient du « chien ». Lorsqu’on travaille en monologue, le moteur qu’est le charisme, ce qu’on appelle dans le jargon « le gros foyer », était la qualité recherchée. Car je savais déjà que je voulais vraiment travailler dans une économie de mouvement.
Les filles sont mises en scène dans des épreuves physiques, des contraintes successives pour donner un canal à cette parole afin qu’elle ne devienne pas banale ou quotidienne et afin d’en faire une performance théâtrale sur scène. On a mis en place des genres de petites olympiades d’actrices. Par exemple, Léane Labrèche Dor pleure sur le bout de ses pieds pendant vingt-cinq minutes. Pour faire passer tout ce texte-là, on a travaillé en contrainte physique. Catherine Trudeau est en petit bonhomme pendant très longtemps. Debbie est sur le bout de ses pieds pour que sa parole passe dans une contrainte physique. Tout ça afin d’aller au-delà de la parole quotidienne et des scories de l’acteur. J’ai entraîné les filles pendant presque un an.
Léane Labrèche Dor
EH : La douleur physique est donc un incubateur pour le personnage?
SB : Comme un volcan ou un presto qui compresse ou retient, donc il y a une pression extérieure. Et pour ces femmes-là, c’est la société qui fait cette pression extérieure. Et la parole d’Annick, c’est ce petit tube dans le presto qui s’agite et qui chante quand il y a assez de pression à l’intérieur. Comme une bouilloire à sifflet. Il faut travailler sur la nature de cette bouilloire pour que la parole trouve sa raison d’être. Autrement, on fait juste jaser…
On a monté « J’accuse » comme des épreuves de survie. Le public se demande si elles vont aller jusqu’au bout. Est-ce qu’elles vont réussir? Il se passe quelque chose au-delà des mots, de la situation et des sujets d’accusation. Il y a une femme qui tente de survivre et une actrice qui tente de se surpasser sur scène. La notion du danger est constante dans « J’accuse » et ça crée une attention et une écoute particulière dans le public. On est concentré sur leur combat intérieur.
Annick a fait des recherches, par exemple, elle s’est insérée dans le fan-club d’Isabelle Boulay pendant des années pour écrire la partie de Debbie. Le premier monologue est la fille qui vend des bas de nylon dans une boutique de la grandeur d’un cubicule, Annick l’a fait elle-même pendant longtemps. Elle a écrit le monologue de Catherine Paquin-Béchard en y travaillant pendant quatre ans. Être vu de haut, ne jamais se faire regarder dans les yeux… subir tout ça!
Debbie Lynch-White
EH : Pourquoi remettre à l’affiche « J’accuse » pour une deuxième saison? est-ce que dans la première saison (2014-2015), vous aviez manqué de temps pour les supplémentaires?
SB : Il y a eu des supplémentaires dans la production initiale et nous étions allés au maximum de ce que l’horaire permettait. C’est certain que c’est une épreuve pour les filles, elles ne peuvent pas jouer ça pendant huit semaines. De plus, en début de saison, on ne sait jamais ce qui va marcher fort ou moins fort…
Donc, il y a eu un engouement de la part du public. Et on veut aller à la rencontre du public, on veut que ça continue pour rencontrer d’autres publics et toucher plus de gens. On a donc une responsabilité de poursuivre. Alors, même si on a perdu une actrice, Ève Landry qui est en train d‘accoucher, on a quand même poursuivi.
Et au-delà de ça, ce qui est intéressant pour toute l’équipe, est que lorsque tu reprends une pièce, tu apprends beaucoup sur ton métier. Qu’est-ce que de revenir à l’origine de ce que l’on a créé? Revenir et se concentrer sur le processus avant qu’il y ait un public dans la salle. C’est exigeant, les filles ont eu le vertige lorsqu’elles ont repris leur texte. Se demandant si elles allaient y arriver même si elles l’avaient déjà joué trente fois. C’est un texte concentré de 20-25 minutes par personnage.
Donc, ce n’est pas juste des répétitions et une mise en scène, c’est un entraînement. Les filles ont fait beaucoup de place dans leur vie personnelle pour y arriver… On se voyait en plusieurs étapes de répétitions. Elles ont travaillé isolées pendant les premiers trois mois. Lors de la mise en commun, la charge émotive était énorme pour chacune d’elles. Chacune comprenait par où les autres étaient passées, admirative, compréhensive du travail les unes des autres.
Merci à Sylvain Bélanger pour son ouverture, sa capacité à bien expliquer son travail tout en nuances et son impressionnante mise en scène d’une précision chirurgicale.