La Blessure de l’autrice et metteure en scène Gabrielle Lessard vient de faire son arrivée sur les planches de l’Espace Libre. Présentée jusqu’au 9 avril, la pièce articule un malaise contemporain profond, pose un regard révolté sur l’éco-anxiété et crée un dialogue tranchant entre les générations. Mieux encore, elle vient confronter les contradictions vivant en chacun d'entre nous, et mérite absolument qu’on la désigne comme un incontournable au théâtre ce printemps.

Entrevue avec Gabrielle Lessard

À première vue, le récit de La Blessure nous plonge dans une situation assez sombre. On y suit le personnage d’Anne, jeune mère dans la trentaine récemment diagnostiquée d’un cancer du sein curable. Celle-ci pose un regard désabusé sur l’état du monde, et souligne à la moindre opportunité le désastre que l’humanité est en train de créer pour elle-même. En acte de révolte, elle choisit de s’enfuir de son premier traitement de chimiothérapie, refusant qu’on lui administre un poison inconnu au nom du progrès médical. Cette décision a l’effet d’une bombe sur son entourage; sa conjointe, sa sœur, son amie et sa mère voient leurs certitudes chamboulées par la révolte d’Anne, et tentent tant bien que mal de lui faire entendre raison.

Pour sa deuxième pièce en carrière à titre d’autrice-metteure en scène, Gabrielle Lessard fait son retour à l’Espace Libre avec ce texte qu’elle a écrit spontanément, sans filet. « J’avais envie d’écrire sur l’éco-anxiété, sur comment on réagit lorsqu’on est déjà dans le mur », affirme Gabrielle. « La blessure est une métaphore. Anne, elle ne peut plus faire semblant. Elle ne peut plus rien ignorer à l’approche de la mort imminente. Il s’agit donc de voir comment on réagit devant notre vulnérabilité. Et c’est vrai pour tous les personnages de la pièce. »

Un texte qui tombe à pic, des interprétations à couper le souffle

La Blessure a la sagesse de ne pas chercher à nous moraliser ou à offrir des réponses trop simples. Elle choisit plutôt de poser les bonnes questions et d’évoquer les nuances du débat à travers ses personnages. Certes, on est scandalisé par le portrait surinformé du monde que nous livre Anne, mais on comprend aussi l’amour de la vie de sa conjointe, le pragmatisme de sa sœur, le désir de légèreté de son amie et la bonne volonté maladroite de sa mère. Nous, public, parvenons à les entendre à travers ce dialogue de sourds.

Crédit photo: Jérémie Battaglia

Le génie du texte, c’est qu’il parvient à nous faire éclater de rire à de nombreuses reprises malgré le sérieux du message. Parce qu’on se reconnaît soi-même ou que l’on reconnaît les autres, nos propres malaises et nos inquiétudes tournés en ridicule, on ne peut pas s’empêcher d’y voir de la dérision. « Je la trouve pas nécessairement drôle la pièce, et ce n’est pas son but », dit Gabrielle, « mais le rire, c’est vraiment une belle façon de faire une petite jambette à l’ego. »

Le crédit doit revenir aux performances formidables offertes par les 5 comédiennes qui font vivre ce dialogue sur scène. En véritable cellule de crise, les répliques sont lancées comme des couteaux, pour exposer et blesser là où ça fait mal. Le travail, le timing et la complicité de Marie-Anick Blais, ​Lamia Benhacine, Ève Duranceau, Monique Spaziani et Catherine Bouliane​ ont su donner une crédibilité nouvelle à la dureté des mots échangés.

Crédit photo: Syvie-Ann Paré

« Moi je me suis rendue vulnérable en l’écrivant cette pièce-là », confie Gabrielle. « Et ça m’a fait vraiment du bien. Je souhaite que le public se laisse être vulnérable aussi. » De notre côté, c’est mission accomplie. Un rendez-vous théâtral pertinent qui, malgré les écorchures qu’il génère, fait énormément de bien.

La Blessure est présentée à l’Espace Libre jusqu’au samedi le 9 avril 2022. On vous invite à vous procurer des billets d'ici là sur le site de la billetterie du théâtre juste ici.