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Du 22 février au 4 mars dernier, la Cinémathèque québécoise, le Cinéma Impérial, le Cinéplex Odéon Quartier Latin et le Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts ouvraient leurs salles de projection à la 41e mouture des Rendez-vous Québec cinéma. Je consacrais un texte plus tôt cette semaine à la "Leçon de cinéma" donnée par Robert Morin et à la présentation de son plus récent film, 7 paysages.
Voici le compte-rendu d'une deuxième rencontre marquante rendue possible par le festival.
Theodor Ushev est une figure tout à fait singulière du paysage cinématographique québécois. Il incarne aisément pour l’imaginaire nord-américain, avec son fort accent bulgare et ses discours chargés de ferveur idéaliste et de tout le poids de la tradition culturelle européenne, le cliché de l’esprit slave grave et profond, forgé par la dureté de la vie, empreint de la conscience d’une histoire longue et rude. Il y a quelque chose de presque comique à cet égard dans le contraste qu’il offre vis-à-vis la verdeur et la tiédeur souvent consensuelle du tempéré climat spirituel canadien.
Depuis 1999, il a fait de Montréal, milieu favorable au développement d’une carrière artistique, sa terre d’accueil, après une formation en graphisme à l’Académie nationale des beaux-arts de Sofia et un début de carrière dans son pays d’origine comme affichiste, puis comme designer interactif et multimédia. Après quelques années d’exploration des moyens expressifs offerts par l’émergence d’Internet et par les outils numériques nouvellement à la disposition du cinéma d’animation. Il fait la rencontre de Marcel Jean, directeur du programme français du studio d'animation de l'ONF et figure premier plan du paysage cinématographique québécois, à l'occasion de la présentation de son projet de film L'homme qui attendait au concours "Cinéaste recherché". Il suit de cette rencontre une collaboration entre Ushev et l’organisme canadien, qui perdure jusqu’à ce jour (dont le fruit le plus récent est ufn documentaire, Les liens invisibles, qui explore l’univers intérieur de l’artiste), et qui a donné lieu à la réalisation de multiples œuvres saluées par la critique (dont Vaysha l’aveugle, en nomination pour l’Oscar du meilleur court-métrage film d’animation en 2017).
Le cinéma de Ushev a l’ambition d’exploiter les possibilités qui sont véritablement spécifiques à l’art de l’animation à l’ère du numérique, possibilités qui, selon lui, le désignent comme médium de prédilection pour faire entendre un message à une vaste échelle. Le cinéma d’animation, en effet, n’a pas besoin de faire appel aux canaux institutionnels -studios, salles de projection, galeries, musées- pour être produit et diffusé. Chacun possédant un ordinateur peut à la fois créer des images en mouvement et les recevoir. Cette capacité d’être diffusé dans une multitude de lieux différents -sur les écrans des cinémas, des ordinateurs, des tablettes, des téléphones cellulaires ou même sur les façades d’édifices publics-, lui permet de toucher au cœur et à l’esprit des gens en saisissant au vol le regard des passants distraits, au sein du tumulte de nos environnements urbains et numériques.
À l’intersection entre le cinéma en prises de vue réelles – le plus souvent de la littérature filmée- et les arts visuels, figuratifs ou abstraits, le cinéma d’animation recèle également la possibilité d’élaborer un langage qui lui est propre -au moyen de l’image en mouvement-, doté d’une capacité de persuasion agissant en-deçà du discours rationnel. Celle-ci devrait être mise au service de l’élucidation des enjeux historiques qui se présentent ici et maintenant. La position qu’Ushev assume en tant qu’artiste, dès lors, n’est pas (peut-elle jamais l’être?) neutre politiquement ou philosophiquement. Il est engagé consciemment dans la communication d’une interprétation du monde qui se veut déterminante pour le devenir humain, dans l’héritage revendiqué de figures comme Stan Brakhage, pour qui l’élaboration d’un nouveau langage artistique allait de pair avec l’ouverture de nouvelles perspectives dans le réel lui-même.
On découvre chez Ushev par ailleurs une dévotion à son travail d’ordre presque religieux ou mystique. L’effort déployé dans la réalisation de La physique de la tristesse, pour ne donner qu’un seul exemple, est tout simplement pharaonique. Ushev y exploite une technique qu’il est le premier à avoir mis en œuvre dans la production d’un film d’animation : celle de la peinture à encaustique, utilisée dans l’Égypte romaine (1er au 4esiècles) pour ornementer les sarcophages des portraits des pharaons : un procédé consistant à mélanger à de la cire d’abeille fondue des pigments de couleur. Cette technique, qui a donné lieu à des peintures encore intactes aujourd’hui, permet de produire les images parmi les plus durables qui soient -incomparablement plus que celles encodées numériquement, vu la constante évolution des langages informatiques et des logiciels permettant de diffuser les contenus-. Les premiers courts-métrages diffusés par le cinéaste sur Internet, au moyen du lecteur multimédia Flash créé par Adobe à la fin des années 90, sont de fait à ce jour irrémédiablement illisibles.
Or, se jouant de cette volonté de pérennisation de l’image, Ushev supprimait délibérément au fur et à mesure, tout au long de l’élaboration de La physique de la tristesse, chacune des milliers d’images tout de suite après l’avoir capturée numériquement. Rappelons que pour reproduire le mouvement avec réalisme, le cinéma requiert au moins 16 images par seconde. Rappelons également que chacune de ces images était peinte laborieusement sur une plaque, à coup de fonte et de refonte de cire d’abeille, au cours d’un processus ayant duré cinq ans, jusqu’à entrainer chez le peintre un écoulement de ses yeux, exposés en continu aux exhalaisons de la cire chaude. Ce choix de médium et ce procédé créatif, dit-il, étaient les plus adéquats à l’adaptation du roman de son frère spirituel Guéorgui Gospodinov, considérant les thèmes abordés de l’identité, de la perte, de la mémoire et du deuil.
Le tout récent film PHI 1.618, adapté pour les écrans par le chercheur en études russes et est-européennes Vladislav Todorov à partir de son propre roman The Spinning Top, constitue un changement d’orientation dans l’oeuvre de Ushev : il s’agit de son premier film en prises de vue réelles et aussi de son premier long métrage. Il ne rompt pas entièrement tout de même ici avec les moyens expressifs développés pour l’animation. Cette co-production canado-bulgare, entièrement tournée en Bulgarie avec de micro-moyens financiers, puis post-produite au Québec (montage, musique, conception sonore, coloration), comporte quelques séquences animées et des effets spéciaux entièrement conçus par Ushev.
Le récit raconté nous projette dans un univers dystopique où règnent les biotitans, nouvelle race d’humains hybrides, entre technocrates dictatoriaux à l’utilitarisme implacable, incarnations hyperboliques de l’injonction latente à la maitrise de soi et partisans du transhumanisme le plus fantaisiste, le tout présenté sous les traits redoutables de figures staliniennes ou hitlériennes. Ils forment une race auto-constituée conformément au modèle d’une perfection concevable mathématiquement -le nombre d’or, phi 1.618-.
Ayant conquis la mort et dompté, grâce à des avancées technologiques et scientifiques, tous les instincts pathogènes, l’amour et le désir y compris, ils s’engagent cette fois, fuyant une planète rendue inhabitable par sa toxicité, dans la conquête du cosmos afin de retrouver un lieu de vie hospitalier. Avant le grand départ, le biotitan Krypton est chargé, pour l’usage futur de son immortelle race, de faire la provision de tout le savoir constitué par l’humanité, consigné dans tous les livres jamais écrits, avant de les faire disparaitre dans une immense fournaise. Tous les livres, sauf un seul qui, s’il est recopié, risque de faire sombrer dans le chaos le projet de sauvetage de l’ordre de vie parfait et clos reconstitué par les surhumains biotitans.
Juste avant que Krypton ne se décide à suivre l’instruction et à transformer le tout dernier livre de l’humanité en poussière, celui-ci prend soudainement les traits d’une jeune femme à l’allure androgyne, Gargara, concrétion immatérielle d’un fragile élan émancipatoire résidant dans le livre. Elle personnifiera tout au long du récit, en tant qu’auxiliaire et inspiratrice de Krypton, un idéal : celui de l’alternative médiane entre la voie poursuivie par les humains, formant une race dégénérée se vautrant avec concupiscence dans une corporéité bestiale (« So corpo-real », dira-t-elle, amusée et vaguement dédaigneuse, à propos de tout ce qui est bassement humain ou bassement surhumain), et celle des biotitans, représentant l'idéal humain dévoyé, celui d'un accomplissement intégral de la maîtrise technique et scientifique de la nature.
Si les prémisses du film sont intéressantes et contiennent un potentiel de réflexion fort à propos, il semble que leur déploiement s’avère quelque peu décevant, autant du point de vue de la forme que du contenu. On a le regret de voir se dessiner un scénario qui siérait davantage, semble-t-il, à un jeu vidéo : plutôt maigre et d’une cohérence bricolée, prenant la forme d’une succession entièrement linéaire de problèmes à résoudre en vue de la réalisation d’une quête (discutable quant à sa symbolique - on y reviendra-). Les différents types humanoïdes rencontrés au cours de l’aventure font l’effet d’illustrations un peu schématiques de jugements portés sur l’humanité existante. Le traitement visuel -par exemple le choix de visiter une esthétique qui, bien qu’éclectique, emprunte plus volontiers à Fritz Lang qu’à George Lucas, celui de mobiliser une iconographie évoquant le IIIe Reich plutôt que la Silicon Valley pour illustrer le caractère totalitaire du régime biotitan- a quant à lui quelque chose d’un peu poussiéreux.
Poussiéreux, à certains égards, apparait aussi le contenu de sens porté par le récit, dont l’ambition -progressiste- est d’explorer les possibilités humaines se situant entre le totalitarisme et la barbarie. Notons d’abord que le déploiement de l’action repose tout au long exclusivement sur un personnage masculin, Krypton. Le rôle de Gargara, son acolyte réduite à la fonction passive de muse, ne dépasse jamais celui de lui insuffler esprit et initiave. Les choses s’aggravent lorsqu’on s’arrête sur le sens de la quête qui anime le héros. Dans cet univers dystopique, l’existence des femmes n’est pas nécessaire pour assurer la survie des biotitans : puisqu’ils sont immortels, ils n’ont pas besoin de recourir à la procréation. La féminité, du point de vue d'une rationalité strictement calculatoire associée au pôle masculin, est réduite à ce rôle. Elle devient un simple principe de désordre et une incitation à la luxure superflue en dehors de la nécessité d'engendrer. Ils décident malgré tout (sous l’effet des stigmates d’une bassesse instinctuelle surmontée ?) de transporter avec eux dans leur exode un spécimen incarnant la perfection féminine, vestige muséal de l’humanité révolue. Ils doivent la maintenir, au cours de leur quête intergalactique, à un degré de vie minimal, analogue au sommeil ou au coma.
Or, inspiré par Gargara, Krypton prend contact avec son propre désir pour cette femme à demi vivante. Voici l’amorce du récit. Son désir réveillé en lui, il doit parvenir à réveiller cette femme idéale. Son réveil et leur union, qui doit s’en suivre automatiquement selon la logique du récit, signifieront l’union du surhumain et de l’humain, le salut de l’humanité grâce au retour (ou à l’avènement ?) d’une perpétuation de la vie par le biais d’un amour à la fois spirituel et charnel. Tout le scénario, clin d’œil postmoderne à Blanche-Neige, est porté par cette quête à accomplir. Le film se termine sur la réactivation de l’image d’un fantasme, franchement anachronique et finalement plutôt réactionnaire : celle du prince-biotitan, s’éloignant en portant à bout de bras à la fois la princesse secourue et le salut du genre humain. La femme joue donc bel et bien un rôle nécessaire quant au salut, mais entièrement passif. Elle est réduite à un objet de désir ou à la personnification d'un idéal situé hors de ce monde.
Ce film, en somme, suscite l'enthousiasme en même temps qu'il laisse sur sa faim. On attend tout de même avec impatience les prochaines incursions du réalisateur -qui fascine par son atypicité, son zéle et sa riche vision du monde- dans l'univers sans doute plus codifié du long-métrage de fiction.
La plupart des courts-métrages d'animation de Theodore Ushev sont disponibles gratuitement -l'artiste s'en fait un point d'honneur- sur YouTube ou encore sur le site de l'ONF. On attend la date de sortie en salle et sur les plateformes de téléchargement de Phi 1.618.