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Dans la série d'entrevues Questions réflexions, Charles Moquin rencontre des personnalités de la scène culturelle et les interroge sur leurs valeurs, leurs principes individuels ou sociaux, leur vision du monde, sur des questions de société ou des sujets philosophiques.
Sophie Bienvenu est écrivaine et scénariste.
- Est-ce que l’on doit être passionné pour bien performer? Un bon technicien non passionné peut-il y arriver aussi?
C’est la chose que ça prend. Et c’est ce que je dis en premier aux jeunes, lorsque je donne des conférences dans les cégeps et universités, alors qu’ils me demandent ce que cela prend pour être auteur, d’en vivre. Je les décourage aussi de faire cela dans la vie.
- Que pensez-vous des gens qui jouent avec une oreillette, ou qui chantent en playback?
Tu sais, je suis Française au départ. Là-bas, il n’y avait jamais personne qui chantait en direct. Ce n’est que lorsque je suis arrivée au Québec il y a 17 ans, et que les gens se moquaient des Français qui chantaient en playback, que j’en ai pris conscience. Dans le temps, il y avait des souffleurs au théâtre. On dit que Depardieu colle des post-it avec son texte sur ses collègues. Je trouve que c’est un peu un manque de respect, surtout envers ses partenaires au théâtre et à l’endroit du public, lorsque l’on chante en playback.
- Recherchez-vous davantage la ressemblance ou la différence, dans vos relations personnelles et dans votre vie en général? Et votre quotidien, de quoi est-il fait?
Mon Dieu! Intéressante question. J’ai tendance à rechercher la différence pour apprendre. Récemment, j’ai eu un diagnostic du syndrome d'Asperger et j’ai réalisé que, si mes amis se faisaient diagnostiquer, ils seraient pas mal sur le spectre. D’ailleurs, j’ai deux amis qui ont été diagnostiqués « Asperger » depuis moi. J’ai compris qu’on se retrouve entre personnes qui ont les mêmes traits, les mêmes intérêts. Par contre avec mon chum, on est d’accord au départ et à l’arrivée, mais jamais sur le chemin pour y parvenir. Et c’est super enrichissant. Les gens différents nous permettent souvent d’apprendre sur soi. Mais il y a des choses que je ne suis pas capable de comprendre ; étant contre l’autorité, je ne peux imaginer comment quelqu’un de « normal » peut s’engager comme policier. Dans mon dernier roman, j’ai réussi à aller chercher mon personnage de policière en me disant : elle bat sa blonde. Ce n’est qu’en voyant ce côté brisé de cette personne que j’ai pu la comprendre. Sinon, je n’aurais pas été capable de l'écrire correctement. Et je peux aussi défendre le burkini, contre lequel je suis contre à la base, parce que l’on veut le défendre. Tout dépend de quelle valeur on met en premier.
- Est-ce que l’habillement vous en dit long sur les gens?
Oui. Je pense. J’ai pas l’impression d’être superficielle, de m’attarder à ça. Non. Finalement oui. Je vais aller moins vers certaines personnes, à cause du préjugé de l’habillement. Je dis pour rire que j’ai mon « brand » et que j'ai l’impression d’être déguisée lorsque je ne suis pas habillée comme mon brand. C’est comme mon chum, il est noir, il a de longues dreadlocks. Les gens changent de trottoir lorsqu’ils le croisent. Je lui dis: « Tu as 37 ans et tu as l’air d’un gang de rue. » C’est sa personnalité. Je crois qu’il faut aller quand même au-delà de la première impression. Et mon chum l’a prouvé à ma mère.
- Êtes-vous plutôt dans l’acceptation ou la confrontation aux gens, au temps, aux insuccès?
Mon Dieu, c’est difficile comme question, hein! Je te dirais qu’avant, j’étais plus dans la confrontation. Maintenant davantage dans l’acceptation. J’ai pour but de faire changer les choses qui me dérangent dans la société. Et, j’ai réalisé que l’on y arrive beaucoup plus en acceptant l’autre, en discutant qu’en confrontant. C’est mieux pour le stress aussi.
-Souffrez-vous de la rage au volant?
Un peu. J’ai une très mauvaise tolérance aux cons au volant. Dans ta voiture, tu as l’impression d’être chez toi. C’est pour cela que lorsque l’on est agressé, on devient plus énervé. J’ai beaucoup de misère avec le manque de civilité et le non-respect des règles. Et au volant, c’est terrible. Comme derrière un ordi.
- Qu’est-ce qui prime pour vous au restaurant : la gentillesse du service, ou la qualité de la nourriture?
J’adore bien manger, et l'incivilité me pue au nez. La gentillesse. Mon expérience sera meilleure, si la bouffe est moyenne et que le service est extra que le contraire.
- Êtes-vous davantage attirée par des gens pour qui la vie coule de source, ou par ceux qui sont davantage tourmentés ?
Des tourmentés. Je n’hésite pas une seule seconde. Des bras cassés, moi je récupère ça. Des gens qui ont vécu des choses difficiles et qui réfléchissent sur eux aussi.
- Jusqu’où la liberté d’expression peut-elle aller, selon vous?
La liberté d’expression, c’est que le gouvernement ne peut pas t’emprisonner parce que tu as dit telle ou telle chose. Comme l’incitation à la haine. Tout peut être dit, mais tout ne peut pas être entendu. Tu vois, les animateurs de radio de Québec, j’ai envie d’y aller et de les brûler. J’aimerais bien les faire taire. Mais ils deviendraient des martyrs. On devrait plutôt débattre, donner le même temps d’antenne à Gabriel Nadeau Dubois qu’à André Arthur ou Jeff Fillion. Et cela vaut aussi pour les gens de gauche. On a annulé une invitation à Mathieu Bock-Côté qui devait donner une conférence à l’UQÀM, parce qu’on ne voulait pas de son discours de droite. Ce qui a provoqué une sortie de Normand Baillargeon, avec qui je suis d’accord, lorsqu’il dit que les universités devraient être un lieu d’échange de points de vue divergents. On ne peut dire: « Ces gens là, on les laisse entre eux, c’est une gang de crottés », et leur tourner le dos. Car lorsque tu te retournes, eh bien, ils ont fait élire un Trump. Il ne faut pas seulement s’adresser à ceux qui sont d’accord avec toi, car là, tu fais juste te crosser dans leur oreille. On doit essayer d’instaurer un dialogue avec les autres, et cela ne se fait pas en censurant.
- Votre but dans la vie est-il d’être heureuse?
Non. J’ai fait une croix dessus très tôt dans ma vie. Le bonheur m’est arrivé seulement il y a quelques années. Non. Mon but dans la vie, c’est de faire quelque chose d’important. Important à mon échelle. Que chacune de mes œuvres soit importante pour au moins une personne. Je pense que c’est ça mon but dans la vie, de changer les choses qui ne vont pas bien.
- Le dicton « Le malheur des uns fait le bonheur des autres », ou vice versa, s’applique-t-il à vous ?
Dans la série Louie, Louis C.K. s’adresse à sa fille qui lui a mentionné que son voisin avait plus de bouffe qu'elle dans son assiette. « Le seul moment où tu peux regarder dans l’assiette de la personne qui est à côté de toi, c’est pour t’assurer qu’elle en a assez, pas pour savoir si elle en a plus que toi. » J’essaie de l’appliquer à ma vie. Si je me compare à cette fille qui vend plus de livres que moi, si ça se trouve son chum la trompe. Elle est dépressive et sa mère vient de mourir. Ça me donne rien de me comparer. Ça me donne rien de vouloir la voir échouer. Ça ne m’apporte rien. Ce qui me rapporte, c’est de regarder quelqu’un qui a moins que moi, et de me demander ce que je peux faire pour cette personne. C'est très égoïste de faire du bien. Tu fais ça pour toi. J’essaie de faire un petit peu. C’est moins utopique depuis que j’ai cessé de vouloir changer le monde. Si j’avais été à la frontière en Europe, j’aurais aimé aider un réfugié, un seul.
- Qu’est-ce que l’amour?
Qu’est-ce que l’amour? Mon Dieu. T’as pas un choix multiple? Peux pas avoir a), b), ou c)? L’amour... Un de mes amis m’expliquait ce que sa mère lui avait dit. Il lui a demandé ce que c’était que d’avoir un enfant: il naît, t’es content, et après tu as toujours peur qu’il meure. Le fait que cette personne existe rend la vie tellement meilleure. Et moi avec mon angoisse, l'amour, c'est avoir peur qu'il meure.
- L’être humain est-il foncièrement bon ou mauvais?
Celle-là, je l’attendais, car tu m’en avais parlé dans ton mail. Il est foncièrement neutre, comme tous les animaux. Quand tu mets l’instinct de survie dans la balance, le bien, le bon et le mal n’existent pas. Le bien et le mal n’existent que dans les films, les pièces de théâtre et les romans.
- Seriez-vous prête à faire condamner un innocent pour sauver un ami coupable?
Le seul innocent que je pourrais faire condamner, je pense, c’est pour une cause. Je vais pas jeter la pierre à un mouvement comme #MeToo, qui sur 100 coupables allait pogner un innocent. C’est vraiment dommage pour cet innocent. Je serais vraiment triste pour lui. Mais ça arrive. Mais pour mon ami, non. Je préfère laisser condamner un innocent pour faire avancer la société. Pour moi, cela a plus de valeur. Malheureusement, ce n’est que dans les films américains où tout le monde est sauvé.
- Est-ce que le suicide assisté devrait être accessible à qui en ressent le besoin, sans autre considération?
Oui. J’ai aucune retenue par rapport à ça. Et je n’ai même pas besoin d’y réfléchir.
- Croyez-vous que Bertrand Cantat doive continuer à s’exprimer artistiquement?
Moi, j’étais fan de Noir Désir lorsque j’étais jeune, comme beaucoup de Françaises de mon âge. Lorsque c’est arrivé, je n’étais pas encore féministe. J’étais pour Bertrand Cantat. Après, lorsqu’il est sorti, je me suis dit: « Il a payé sa dette. » La justice a parlé. C’est vrai que j’ai tendance à trouver cela obscène et misogyne de le voir en couverture des Inrocks. C’est un poète de génie et son œuvre doit être écoutée et étudiée. On ne peut mettre au pilori des œuvres parce que leur auteur était un salaud. Tous les auteurs de 1700 à 1900 étaient colonialistes et encourageaient l’esclavage. Tous. Tu ne peux pas mettre leur œuvre au pilori, ce n’est pas vrai. Mais glorifier l’individu, j’ai de la misère avec ça.
- Un défaut, un vrai?
Mon Dieu, j’en ai tellement. Lequel vais-je te donner? Je suis intransigeante. C’est ça qui me rend le plus difficile à vivre. Et c’est un défaut que je ne veux pas changer. Je fais très peu de compromis sur mes principes. Professionnellement par exemple, lorsque je suis tolérante, je me rends compte rapidement que je me suis trompée. Ça fait toujours de la marde.
- Que pensez-vous de la recherche sur les cellules souches?
J’ai l’impression que je parle sans connaître. Pour moi, la science fait tellement mal, que ce soit les OGM, les engrais, etc. Que les gens ne meurent plus en attendant que quelqu’un meure afin d’obtenir une transplantation, alors que l’on aura des organes de rechange, là, je trouve qu’elle a l’occasion de faire quelque chose de bien. Et en ce qui a trait au danger du clonage d’humains, je crois que le monde sera détruit avant que l’on y arrive.
- Estimez-vous que l’homme doive continuer de protéger la biosphère, ou se modifier pour vivre dans un nouvel environnement (ex : par le transhumanisme)?
Je n’accorde pas assez de valeur à l’être humain pour tenter de l'immortaliser par le transhumanisme. En plus, ce serait le 1% qui en profiterait. Pour les autres espèces, l'extinction de l'être humain serait la meilleure des nouvelles. Évidemment, je souhaite ne pas le voir de mon vivant. Et pour moi, aller coloniser Mars, c’est aller pourrir une autre planète. On s’aime tellement. Combien d’espèces ont disparu à cause de nous ? On fait preuve d’un spécisme incroyable, en pensant qu’on est plus important que les autres. Et je trouve ça vraiment terrible.
- Croyez-vous à une vie après la mort?
Je suis agnostique. J’ai tendance à croire que les esprits des gens qui sont morts restent là. Mais je ne l’ai jamais expérimenté.
- Avez-vous peur de la mort?
Non. Je suis dépressive depuis que j’ai cinq ans. Ça va mieux depuis quelques années. C’est longtemps quelque chose que j’ai attendu, que j’ai espéré. Je n’avais pas le courage de le faire moi-même.
- Est-ce qu’il y a un avenir pour le français au Québec?
Est-ce que j’y crois? Je l’espère du moins. Oui. Je ne crois pas que la défense du français passe par le « Bonjour, Hi », par le refus du franglais, par le refus de l’anglais. J’ai l’impression que l’on n'en est plus là. On doit repousser l’attitude de colonisé. Je voudrais que l’on s’en foute. Que l’on parle comme on parle. Que l’on ne veuille pas un français international, que ça passe par le québécois. Que l’on arrête d’avoir honte de notre langue, de notre parler. Lorsque je suis arrivé au Québec, j’ai trouvé ça beau. Cette langue est riche. Elle est aussi riche que le français de France. Plus riche peut-être.
- Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Mon prochain roman, qui se passera dans les Antilles. C’est tout un défi pour la langue. On m’a contactée pour adapter mon troisième roman au théâtre, Autour d’elle. C’est un nouveau monde qui s’ouvre à moi. Je suis en train d’adapter Chercher Sam au cinéma. Je travaille aussi sur un projet original, également au cinéma avec Jean-François Pouliot. Et aussi, finir un autre recueil de poésie et un autre livre pour enfants; la suite du premier qui m’est demandée. Et deux séries télé. Je suis occupée.