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Dans la série d'entrevues Questions réflexions, Charles Moquin rencontre des personnalités de la scène culturelle et les interroge sur leurs valeurs, leurs principes individuels ou sociaux, leur vision du monde, sur des questions de société ou des sujets philosophiques
RENCONTRE AVEC MATHIEU BOCK-CÔTÉ
Sociologue, enseignant, essayiste et chroniqueur québécois.
- Est-ce qu'il faut être passionné pour bien performer? Un bon technicien non passionné peut-il y arriver aussi?
Il y a certainement d’excellents techniciens dans tous les domaines. Des gens qui sont capables de performer, de faire un travail remarquable. Mais je devine que si la passion n’y est pas, on finit par se lasser. Et si on se lasse, on finit par négliger les choses. Ce n’est pas de trop que d’être passionné.
- Que pensez-vous des gens qui jouent avec une oreillette ou qui chantent en playback?
Je ne sais trop. Si le comédien peut rendre son texte brillamment, cela ne m’embête pas. À ce qu’on dit, Depardieu fonctionne ainsi, non? Les gens qui chantent en playback c’est autre chose cela dit. Il y a de quoi se demander pourquoi on irait au spectacle.
- Recherchez-vous davantage la ressemble ou la différence dans vos relations personnelles et dans votre vie en générale? Et le monde vers quoi devrait-il tendre selon vous?
Il faut des points de rassemblement. Cela j’y crois profondément. Dans l’intime, deux êtres absolument différents peuvent s’attirer l’un l’autre. Cela peut-être une belle passion, mais ça va finir par exploser, car la relation ne s’est pas créée autour de points communs. Le propre de la conversation, présuppose des repères communs. Et lorsque les choses se passent bien, la conversation peut en créer de nouveaux. C’est vrai en amitié, en amour, et dans la vie civique. Une société où il n’y a plus aucun devoir de ressemblance n’est plus une société, ce n’est qu’une collection d’atomes malheureux. Ceci dit, il faut un bon dosage entre les deux. Trop de ressemblance peut pousser à l’étouffement. Trop de différence peut pousser à l’éclatement.
- Est-ce que l’habillement en dit long sur les gens?
Ouf ! Je me contenterai d’une confession biographique ! Dans mon cas, ma fiancée m’a civilisé. Sans elle, je serais, je crois, d’une négligence absolue, et je le dis sans en tirer aucune fierté. Plus largement, quelqu’un qui a l’air d’une carte de mode nous impressionne, surtout s’il incarne l’élégance. Inversement, quelqu’un qui a l’air d’un clochard nous repousse inévitablement. Et il y a l’entre-deux : le commun des mortels qui essaie d’être élégant maladroitement.
- Êtes-vous plutôt dans l'acceptation ou la confrontation face aux gens, au temps, aux insuccès?
Il y a une formule de Kundera qui m’a toujours beaucoup marqué: «Comment vivre avec son époque lorsque l’on est en désaccord avec elle?» Cette question, je me la pose toujours car je suis dans cette situation. Je me sens en désaccord avec l’époque, même si je sais bien qu’il ne faut jamais maudire exagérément son temps. Il y a des gens qui croient, à cause du métier que je fais, que j’aime la controverse, que j’aime la polémique. C’est faux. Je ne recherche pas le conflit, mais à la différence de certains peut-être, je ne le fuis pas lorsqu’il est nécessaire. Mais je ne vis pas par lui. Ceci dit, il faut apprendre à accepter l’esprit de son temps, et ne pas vivre en décalage absolu avec son époque. Mais il faut aussi savoir résister aux fausses évidences qu’elle nous impose et qui ne sont souvent que des dogmes maquillés en nécessités historiques.
- Souffrez-vous de la rage au volant?
Je ne pense pas. Mais je ne suis pas non plus un conducteur absolument paisible. Un copain m’avait dit tout jeune, «si tu continues, tu vas finir dans les statistiques routières». Ça m’a marqué. Maintenant, au volant ma conjointe me surnomme «papi».
- Qu'est-ce qui prime pour vous au restaurant, la gentillesse du service ou la nourriture?
La nourriture. Mais en plus, s’il y a le service, je risque de devenir fidèle à l’établissement. J’aime le beau statut d’habitué.
- Croyez-vous que les gens sont plus intéressants dans un bar fumeur et alcool que dans un bar non-fumeur sans alcool?
S’il faut choisir entre les deux établissements absolument, j’irais dans un bar fumeur et alcool. Il y a un puritanisme social qui m’enrage. Je me fiche que les gens boivent ou non. Mais je n’aime pas beaucoup la vertu hygiénique autoproclamée qu’on porte à la boutonnière comme un signe de prestige.
- Jusqu'où la liberté d'expression selon vous peut- elle aller?
J’ai une conception maximaliste de la liberté d’expression. Vous me demandiez dans votre question s’il faut l’accorder aux négationnistes. Je considère que ces derniers sont vraiment des esprits malsains, pervers. Il y a quelque chose de maléfique dans la négation de l’holocauste. Mais je ne crois pas qu’on doive les censurer par la loi. Surtout, je crois que la contradiction publique est meilleure que la loi. Je n’aime pas ces interdictions, car lorsque l’on se met à interdire une chose, on en interdit une autre, et une autre.
- Votre but dans la vie est-il d'être heureux?
C’est de faire ce que j’ai à faire. Écrire les livres que je dois écrire. Donner les cours que je dois donner. Transmettre la part de culture que je peux transmettre. Si je fais cela je suis heureux. Et bien franchement, c’est une chance que j’ai, je suis d’un naturel joyeux!
- Est-ce que le bonheur est relié au malheur des autres?
Dans un seul cas: lorsque je suis dans le sud au moment d’une tempête hivernale au Québec. Alors là, je goûte ce petit privilège cruellement! Plus sérieusement mon bonheur vient de la possibilité de faire ce que j’aime faire, de me conformer à ma vocation. C’est-à-dire, lire et écrire. Et bien franchement, j’espère que les gens autour de moi soient le plus heureux possible. Naturellement, j’aurais souhaité le malheur politique de Justin Trudeau, et le bonheur politique des souverainistes. Mais je ne souhaite du malheur intime, privé, personnel, à personne.
- Qu'est-ce que l'amour?
Le sentiment que j’éprouve pour Karima
- L'être humain est-il foncièrement bon ou mauvais?
Plutôt médiocre. Souvent. A l’occasion il est bon. Le travail de la civilisation est de contenir ses mauvais instincts, le contraindre à la rigueur et de développer sa bonté. Je crois que le travail des siècles, des institutions, des œuvres, de la culture, peut inhiber notre plus mauvaise part et cultiver la bonne. Mais aucune société parfaite n’est possible en ce bas-monde. Pour moi, le mal n’est pas d’abord dans les institutions, même s’il en existe des bonnes et des moins bonnes, il est dans le cœur de l’homme.
- Croyez-vous que vous seriez prêt à faire condamner un innocent pour sauver un ami?
Je crois que c’est une question que l’on ne peut se poser théoriquement. On ne peut pas le savoir à l’avance. On ne doit jamais trop s’estimer. J’espère que je serais un type honnête.
- Est-ce que le suicide assisté devrait être accessible à qui en ressent le besoin sans autres considérations?
Non. Évidemment, nous n’avons pas tous la vocation d’incarner la bonté de l’existence jusqu’aux souffrances les plus ultimes comme l’a fait Jean-Paul II. Mais je n’ai pas envie de médicaliser le suicide et de faire du suicide assisté un droit de l’homme. Que les choses se fassent à l’abri du regard, je peux le comprendre. Toute société a besoin d’une part d’ombre, où se font des choix éthiques douloureux. Je peux le concevoir. Mais transformer en droit fondamental le suicide assisté, il s’agit d’une transgression grave. Le droit à la mort serait inscrit dans les droits garantis par une social-démocratie? Ce n’est pas possible.
- Croyez-vous que Bertrand Cantat peut continuer à s'exprimer artistiquement? Iriez-vous le voir si son art vous intéressait?
Il peut continuer à faire ce qu’il veut. Il y a de très grands créateurs qui sont d’absolus salaud; Louis-Ferdinand Céline en est un. Je serais capable de lire un salaud. Je peux distinguer entre l’œuvre et l’homme. Je veux bien croire que Bertrand Cantat est un grand artiste. Je n’oublierai pas pour autant ce dont il s’est rendu coupable.
- Un défaut un vrai?
Je suis trop en opposition avec mon temps. Je peux m’y opposer jusqu’à l’obstination. J’aimerais vraiment me réconcilier avec mon époque mais je m’en sens incapable. Je suis un peu mésadapté par rapport à l’époque. Et lorsqu’il y a de grands moments d’enthousiasme, j’y vois souvent la part d’ombre, la part fausse. J’ai peine à m’y rallier. Ça peut être très pesant.
- Que pensez-vous de la recherche sur les cellules souches?
Plutôt pour, je crois, même si c’est un dossier terriblement complexe. Évidemment, il y a tout un encadrement éthique qui est nécessaire. On ne traite pas une telle question à la légère.
- Croyez-vous que l'homme doit continuer de protéger la biosphère ou doit-il se modifier pour vivre dans un nouvel environnement ?
Je crois que l’homme doit demeurer l’homme et qu’il doit conserver le monde qu’il reçoit en héritage. L’ambition "démiurgique" du savant fou, qui prétend créer l’homme nouveau, je lui dis non. Le transhumanisme, très peu pour moi. Je défends l’homme tel qu’il est, avec sa part mauvaise et sa part lumineuse.
- Croyez-vous à une vie après la mort?
Je crois en la mémoire. La mémoire des gens qui nous ont aimés. Je crois que l’on peut survivre pour quelques décennies, lorsqu’on fait des œuvres marquantes, qu’il s’agisse d’un livre, d’une chanson, d’une grande action politique. On se souvient de Jules César (rire), de Chateaubriand, Tocqueville, Louis XIV!
- Avez-vous peur de la mort?
Terriblement. Je trouve cela insupportable. Cela va paraître grandiloquent, mais j’ai peur de mourir avant d’avoir accompli ce que je veux accomplir: une œuvre intellectuelle. J’ai aussi peur de la mort de mes proches. Je devine qu’on ne peut avoir un rapport apaisé avec la mort quand on n’est pas croyant. J’aimerais l’être, mais je ne crois pas l’être, même si cette question me hante.
- Est-ce qu'il y a un avenir pour le français au Québec?
Oui, Oui. J’espère ! Je fais tout pour cela. Si on se bat, si nous renouons avec le patrimoine de civilisation qui est celui de la langue française, si nous l’enseignons vraiment, si nous l’imposons partout dans notre société, si on prend les moyens politiques et législatifs nécessaires à son épanouissement. Et si nous faisons l’indépendance du Québec.
- Sur quoi travaillez-vous présentement?
Un nouveau livre, où j’explore le sentiment, très présent, dans la culture contemporaine, que nous sommes contemporains de la fin d’un monde. Plusieurs s’en réjouissent. Je suis de ceux qui se demandent comment sauver ce qui doit être sauvé du monde ancien. C’est la question que je pose dans ce livre.