Dans la série d'entrevues Questions réflexions, Charles Moquin rencontre des personnalités de la scène culturelle et les interroge sur leurs valeurs, leurs principes individuels ou sociaux, leur vision du monde, sur des questions de société ou des sujets philosophiques.

ENTRETIEN AVEC BIZ

Biz est écrivain et membre du groupe Loco Locass

Est-ce qu'il faut être passionné pour bien performer? Un bon technicien non passionné peut-il y arriver aussi?

Je pense que ça prend les deux. Au début de la carrière, il y a beaucoup de passion et peu de technique. Et plus le temps passe, la passion diminue et la technique augmente jusqu’à un espèce de croisement. Et je crois que c’est à ce moment que l’on est au sommet de son art.

Que pensez-vous des gens qui jouent avec une oreillette ou qui chantent en playback?

Je crois que l’on est payé assez cher, que la moindre des choses, c’est d’apprendre son texte.

Recherchez-vous davantage la ressemblance ou la différence dans vos relations personnelles et dans votre vie en générale? Et le monde vers quoi devrait-il tendre selon vous?

Je crois que lorsque l’on est attiré par une personne, à première vue, ce sont par les similarités. Mais en bout de ligne, ce qui fait que l’on va maintenir ces liens avec cette personne, c’est la complémentarité. Sinon on est face à son propre miroir et ça peut devenir plate. J’aime avoir des amis de toutes sortes d’horizon. Comme Pierre Karl Péladeau. Cette amitié que l’on m’a souvent reprochée. J’aime être exposé à d’autres visions du monde. Je suis de moins en moins convaincu que la mienne est la seule et la meilleure, comme je l’étais avant.

Est-ce que l'habillement en dit long sur les gens?

L’habillement c’est un indicateur parmi tant d’autres. On ne peut pas ne pas communiquer quelque chose par l’habillement. Tout le monde a une posture sans exception. Moi ma forme de discrimination c’est la parole. Cela peut être difficile avec quelqu’un qui a de la difficulté à s’exprimer. On ne peut pas me dire, "Bien moi je me comprends". On doit savoir suffisamment s’exprimer pour que la personne à qui on s’adresse puisse comprendre. Et la parole ne sert pas seulement à transmettre des idées, elle en génère aussi.

Êtes-vous plutôt dans l'acceptation ou la confrontation aux gens, au temps, aux insuccès?

Tu sais le proverbe quétaine: "Avoir le courage de changer ce que je peux changer. La sérénité d’accepter ce que je ne peux changer et la sagesse d’en connaître la différence." Mais je crois en ça. J’accepte que mon cri ne soit pas entendu par tout le monde comme "libérez-nous des libéraux". Il ne faut pas prendre les choses personnellement, pour notre santé mentale entre autres. Dédé Fortin a été dévasté par l’échec référendaire et il ne s’en est jamais remis.

Souffrez-vous de la rage au volant?

Cela m’arrive à l’occasion, de m’adresser à un autre conducteur, en prenant bien soin d’avoir la vitre montée et pas devant mes enfants. De toute façon je préfère le bus et le métro.

Vous avez à choisir entre deux restaurants, un où prime la gentillesse du service et le deuxième la qualité de la nourriture. Lequel choisissez-vous?

Je suis sensible à l’ambiance dans un restaurant et à la qualité du service. Et évidemment chez moi, il faut que je sois servi en français.

Êtes-vous davantage attiré par des gens pour qui la vie coule de source ou par ceux pour qui sont davantage tourmenté ?

Dans mon entourage, je n’ai pas besoin de personnes tourmentées. Cela m’alourdit.

Jusqu'où la liberté d'expression, selon vous, peut-elle aller?

Il y a une limite à la liberté d’expression, mais elle doit être la plus vaste possible. Et je n’aimerais pas être un juge pour avoir à trancher ces débats là, parce que ce n’est pas facile. Dans le cas de Mike Ward et le petit Jérémie, je crois que Mike Ward avait le droit de dire ce qu’il a dit. Je ne pense pas que c’est criminel. Par contre, je me mets à la place de cet enfant et de ses parents, et je me demande si c’était vraiment nécessaire. Pourquoi ne pas s’en prendre aux puissants à la place?

Votre but dans la vie est-il d'être heureux?

Oui; et que mes enfants le soient.

Est-ce que votre bonheur est relié à la comparaison aux autres?

À tout le moins, je ne peux pas faire abstraction des états d’âme des gens qui m’entourent. Je vais me laisser imprégner d’un bonheur collectif comme une victoire du canadien et je fuis le malheur.

Qu'est-ce que l'amour?

C’est un sentiment très fort et très grisant. Aimer ses enfants, sa femme, sa famille, ses amis. Cela fait partie de l’expérience humaine. C’est une condition du bonheur pour moi. Cela devient même physiologique, lorsque je rentre d’un long voyage et que je prends mes enfants dans mes bras.

L'être humain est-il foncièrement bon ou mauvais?

Cette question, je l’aborderais sous un angle zoologique plutôt que philosophique. L’humain pour moi est un animal parmi tant d’autres. Et dans la nature, le bien et le mal n’existe pas.

Croyez-vous que vous seriez prêt à faire condamner un innocent pour sauver un ami?

Dans la vie, il faut assumer ce que l’on fait. Cela vaut pour moi et pour mes amis aussi. Mais cela peut se compliquer si l’innocent est un salopard impuni. Et si je suis le parrain de la fille de mon ami. En plus, vous savez que sur un bateau il faut être solidaire. C’est pas simple.

Est-ce que le suicide assisté devrait être accessible à qui en ressent le besoin, sans autres considérations?

J’ai tendance à croire que la vie c’est comme un bar, si tu trouves cela plate tu n’as pas à attendre à trois heures du matin que les lumières s’allument pour partir. Mais la maladie mentale, ça se soigne aussi. Et je crois que si Dédé Fortin avait été soigné, il serait probablement encore en vie, en train de faire de bons disques. On devrait avoir, comme pour une bombe atomique, à peser sur plusieurs boutons, pour ne pas la faire exploser en l’accrochant en passant.

Croyez-vous que Bertrand Cantat peut continuer à s'exprimer artistiquement? Iriez-vous le voir si son art vous intéressait?

Moi je crois qu’à la base on ne connaît pas bien l’histoire en question. Il a commis l’irréparable. Il a d’ailleurs payé pour. Je suis pour la réinsertion. Et je crois que faire son métier, c’est ce qu’il y a de mieux pour lui. J’ose croire que j’irais le voir même s’il y avait des gens qui manifestaient devant l’entrée de la salle.

Un défaut un vrai?

Impatient.

Que pensez-vous de la recherche sur les cellules souches?

Pour créer des pièces de remplacement. Totalement pour.

Croyez-vous que l'homme doit continuer de protéger la biosphère ou se modifier pour vivre dans un nouvel environnement ?

La science c’est comme l’univers en expansion, il n’y a rien qui va l’arrêter. On ne peut freiner la curiosité de l’humain car ce serait aller contre sa nature.

Croyez-vous à une vie après la mort?

Non. Pas du tout

Avez-vous peur de la mort?

Non, car je n’aurai pas conscience après. Je n’ai que 43 ans. Peut-être dans 20 ans ou 40 ans. Par contre je redoute celle de mes proches et la souffrance. Le fait de pouvoir laisser une trace artistique me sécurise beaucoup.

Est-ce qu'il y a un avenir pour le français au Québec?

Je crois que le français est appelé à rétrécir en Amérique et au Québec, à cause du nombre. Pourquoi les immigrants apprendraient-ils le français, s’il n’est pas nécessaire? Mais je ne suis pas totalement pessimiste. La politique est imprévisible, et c’est ce qui est le fun. Si le pouvoir se déplace vers l’Afrique, bien le français pourrait prendre du gallon et cela pourrait créer un brassage qui servirait la cause du français au Québec.

Biz vient de sortir un quatrième roman "Naufrage" qui est louangé par la critique.