La série de textes Poésie du quotidien présente des sujets prosaïques avec une teinte poétique.

Je sors de chez Marc, un copain que je vois occasionnellement. Marc n’a pas d’amoureuse et peu d’amis. Toute son affection va pour son chien qui fait face à la vieillesse, la maladie et maintenant la souffrance.

Il doit le faire euthanasier, afin d’abréger ses douleurs. Mais il n’y arrive pas. Marc est envahi par la haine, la peine, la colère. La race canine, les animaux, Gaspar, la société et surtout lui; tout y passe.

« -Tu sais quoi, qu’il me dit un peu pompette, lorsque je vais le faire euthanasier, je le ramènerai chez moi et le traiterai comme un aliment qu’il est et qu'il aurait toujours dû être. Tiens, apprêté comme le pot au feu de ma mère. Je le ferai bouillir pour l’attendrir, puis revenir dans une casserole dans laquelle je verserai une partie de l’eau qui aura servi à faire bouillir la viande. Enfin, je rajouterai choux, navets, haricots verts, pommes de terre, carottes, huile de cannabis et laisserai mijoter le tout. Pour le coup, je ne vais inviter à ma table que des antispécistes véganes, pour une dégustation d’un nouveau succédané de la viande de la compagnie « Beyond Meat ». Tu vois, le genre qui fait passer les animaux et le vin bio bien avant leur mère et leur sœur. Je les entretiendrai sur les spécistes et l’ordre du monde.

Afin de créer une ambiance naturiste, je ne serai vêtu que d’un cache-sexe à la Salvail, confectionné à partir de la peau de Gaspar.

Je m’adresserai à mes hôtes, en les invitant à mettre les choses en perspective. Nous devons respecter la nature et les animaux, non pas dans l’asservissement en en faisant des animaux de compagnie, mais en les offrant avec honneur et panache lors d’agapes, pour ainsi favoriser "l’harmonie citoyenne" comme nous le faisons en ce moment à ma table. Je rajouterai que la plus grande menace que représentent les animaux de compagnie, est qu’ils provoquent inévitablement l'anthropomorphisme qui nous détourne de notre sens de la collectivité et, par le fait même, crée une indifférence presque pathologique parmi la société qui, en général, se solde par un phénomène de solitude endémique, un taux de suicide anormalement élevé, ainsi que des conflits violents par manque d’empathie, particulièrement entre groupes ethniques et, très sanglants, chez les propriétaires de pitbulls. En fait, ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres du manque de respect de l’humain pour la chaîne de la vie, qui le fait courir à sa propre perte.

Pour terminer, je donnerai la composition du plat que nous aurons tous dégusté avec bonheur. Je les imagine déjà se bousculer vers les toilettes afin de dégueuler leur dîner, et puis se ruer vers moi qui me serai réfugié dans la chambre d’amis sous une immense peau de grizzly, que j’utilise à l’occasion pour des soirées thématiques .

N’ayant probablement pas été débusqué, je ramasserai, puis ferai une poutine avec les restes de Gaspar et organiserai une dégustation gratuite le lendemain, dimanche midi, dans le quartier chinois. On saluera ce mariage interculturel qui s’avérera être une heureuse alliance de saveurs. Sauf pour quelques véganes venus manifester qui scanderont en anglais « Indigested, indigested » sans même avoir vu, ni goûté; genre TNM.

Qu’est-ce que tu en penses?

- Je pense que tu devrais aller t’occuper de ton chien. Je crois qu’il a faim. »

GASPAR 1998-2018 (Mardi 4 septembre 19 h 30)