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Avec Khawal, le privilège de la beauté, Nour Symon nous plonge dans une œuvre éclatée et viscéralement personnelle, où chaque mot, chaque anecdote, révèle une quête identitaire à la fois douce et déchirante. De Ville Saint-Laurent aux racines coptes égyptiennes de l’autaire, cette œuvre transdisciplinaire nous guide au fil de ses tranches de vie, portées par un lyrisme et une authenticité rare.
Khawal est un récit éclaté, presque comme un carnet de voyage à travers la vie, sans destination finale si ce n’est le plaisir de garder des traces de son histoire et de l’histoire de ceux et celles qui nous entourent et qui nous construisent, même sans le vouloir ni le savoir.
Ce carnet est composé de recettes de cuisine, de photos de mets traditionnels, d’essais, de poèmes, de lettres, de collages et de diverses oeuvres d’art, en français, anglais et arabe, le tout traduit ou retranscrit « en ayant en tête qu’un·e francophone sans formation en linguistique pourra approximer assez intuitivement la prononciation des mots » comme le souligne Nour dans les premières pages.
« Je prends la direction d’une petite place à déjeuner qu’on ma recommandée, التابعي الدمياطي– [el-tab3y al-domyati]. Tout est fermé sur mon chemin – c'est le premier jour du ramadan –, sauf quelques échoppes vendant des pièces de moteurs. التابعي الدمياطي [el-tab3y al-domyati] est fermé aussi, malgré ce qu’en dit Google Maps. Toute cette poussière autour. La gymnastique organique du trafic et de ses klaxons. Des guirlandes décorent les rues, des lanternes. Je suis ému·e. »
Chaque fragment semble nourrir l’identité multiple de l’autaire, que ce soit avec des extraits de récits familiaux, des retranscriptions de messages vocaux ou les nombreuses recettes partagées tout au long de Khawal.
Les anecdotes passent des rues de son quartier montréalais du Plateau aux réunions de famille égyptiennes de son enfance. Cette diversité de formats et de tons confère au livre une texture artisanale et chaleureuse, où chaque morceau révèle une parcelle de mémoire, permettant au récit de respirer.
La définition du mot khawal signifie « ma tapette », est ici recontextualisée comme un hommage aux danseurs égyptiens queers sous l’occupation ottomane. Symon s’empare de cette insulte pour en faire un pont avec ses propres racines et un hommage à une communauté souvent reléguée dans l’ombre de l’histoire.
l’arbre poussé croche
خول [khawal] – tapette
« habillé·es en femme »
nous dansons notre ventre au monde
notre regard avant le leur
« tu es ma vie dont le matin a débuté avec ta lumière »
cantille l’amant·e
Nour l’enrichit de clins d'œil à des figures aussi diverses que Cecil Taylor, Farid El Atrache, bell hooks, David Bowie, et Wajdi Mouawad, ainsi qu’à des pointures du monde de la musique comme Dalida, Fairouz ou Farid Al Atrache.
L’écriture a un fort pouvoir libérateur pour l’autaire qui écrit à sa mère une sorte de lettre à la fin de ce carnet de vie éclaté : « Je suis scarifié·e comme pas possible de la vie que tu m’as offerte. On se fera pas d’accroires : je suis bien trop amoché·e pour avoir une espérance de vie digne de celle de grand-maman. Mais j’emploierai chaque moment qu”il me reste à me donner à des relations d’amour réciproques. »
Khawal transcende la simple autobiographie en intégrant le numérique : des captures de textos, des publications Facebook, des tweets, et codes QR menant vers des vidéos YouTube enrichissent l’œuvre, permettant au lectorat de plonger dans l’univers de l’autaire, comme si l’on fouillait dans une boîte à souvenirs.
Mais au-delà de l’aspect technique, ce qui marque, ce sont les facettes d’une identité « trans fèm égypto-québécois·e neurodivergent·e polyamoureux·se et pansexuel·le ». Nour Symon navigue avec franchise dans un monde où les marges se rejoignent et se heurtent : racisme, transphobie, et libération identitaire se tissent dans une écriture bienveillante, poétique, où chaque fragment devient le miroir d’une complexité assumée et rayonnante.
Khawal, le privilège de la beauté est disponible aux Éditions du Noroît.