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Que reste-t-il quand tout s’effondre ? Dans Créatures, présenté à l’Espace Go jusqu’au 22 mars, Anne-Marie Ouellet orchestre une pièce hybride entre performance et installation sonore sur fond de huis clos aquatique où onze femmes et filles, de 5 à 70 ans, dérivent sur une structure fragile. Entre déséquilibre et reconstruction, le jeu devient un rempart contre la catastrophe. Inspirée par l’univers de Tove Jansson, la metteuse en scène propose une fable poétique, oscillant entre dystopie et enchantement, où la résilience collective ouvre un champ infini de possibles.
Dès les premières minutes de Créatures, le public plonge dans un monde flottant, un espace en perpétuelle métamorphose où l’eau a pris le dessus. Sur scène, une structure instable dérive au gré des mouvements des corps et du son. Les comédiennes, de cinq à soixante-dix ans, y évoluent librement, sans contrainte ni hiérarchie, comme si la scène devenait un territoire de jeu ouvert à toutes les possibilités.
La lumière joue un rôle fondamental dans cette impression d’entre-deux. Plongée dans une teinte jaune trouble, la scène semble baigner dans une lueur de fin du jour, un crépuscule suspendu entre le passé et l’avenir. Cette lumière évoque à la fois une veilleuse rassurante et le phare d’un bateau perdu dans la brume, soulignant l’incertitude qui habite tout le spectacle.
L’espace lui-même semble instable ; les planches grincent, les éclairages vacillent, le son se déforme, des gouttes d’eau viennent frapper la structure et l’espèce de lac qui entoure la structure. Tout est mouvant, insaisissable. Loin d’un décor figé, Créatures propose une matière vivante, un monde en suspension qui évolue au fil des gestes et des interactions.
Plutôt qu’une micro société structurée sur ce navire, la pièce donne à voir une constellation d’existences autonomes. Chacune vaque à ses occupations : certaines lisent, d’autres rêvassent, jouent d’un instrument, écrivent, prennent un thé ou observent simplement le monde autour d’elles. Rien n’est orchestré, aucune dynamique ne domine : c’est un espace où chaque individu s’approprie l’instant comme bon lui semble. Seules les adolescentes forment un groupe distinct.
À quatre, elles courent, jouent, font de la musique, éclatent de rire, glissant entre l’enfance et l’âge adulte avec une légèreté fascinante. Elles incarnent une insouciance que les adultes semblent avoir abandonnée, un dernier souffle de spontanéité dans ce monde incertain. Leurs mouvements contrastent avec la quiétude des autres figures, comme si elles tentaient encore d’échapper à la gravité du réel. Cet éclatement des présences et des actions confère à Créatures une dimension contemplative. Il ne s’agit pas de raconter une histoire, mais d’observer un écosystème en perpétuelle réinvention.
Chaque représentation de Créatures se réinvente. Loin des codes traditionnels du théâtre, la pièce ne repose ni sur un texte figé, ni sur une mise en scène stricte. Elle se construit au gré des interactions, des réactions des interprètes et de la matière scénique elle-même, avec comme trame narrative, des repères ou des sujets de discussion.
Le son, l’eau et la lumière deviennent des partenaires de jeu autant que des contraintes. Les bruits de l’eau résonnent comme un rappel constant de l’instabilité de ce monde. La lumière jaune, douce mais persistante, enveloppe les comédiennes d’une aura presque irréelle, comme si elles évoluaient dans un rêve éveillé. L’improvisation et l’adaptation permanente donnent à Créatures une nature insaisissable. Chaque représentation devient une expérience unique, un instant suspendu où le spectacle semble s’écrire en temps réel.
La mise en scène a été influencée par l’univers de Tove Jansson, écrivaine finlandaise qui a créé Les Moumines, de petits personnages bohèmes et naturophiles. L’univers des Moumines résonne profondément dans Créatures, tant dans son esthétique que dans sa philosophie. Comme dans les histoires des Moumines où les personnages évoluent dans une vallée en constante transformation, la scène de cette pièce de théâtre particulière est un espace instable, un territoire flottant où l’eau est à la fois une menace et un élément d’exploration. Les Moumines vivent selon leurs propres règles, loin des structures rigides imposées par le monde extérieur, comme ces comédiennes qui évoluent de manière autonome sans leader ni organisation stricte.
Chez Jansson, l’enfance et l’âge adulte s’entremêlent, et le jeu devient une façon de donner du sens à l’inconnu, comme dans cette pièce. Si Créatures met en scène un univers post-catastrophe, il ne s’agit pas d’un monde désespéré, mais plutôt d’un espace où l’on apprend à cohabiter différemment. De la même manière, Tove Jansson parsème ses récits d’une douce mélancolie, mais aussi d’une lumière diffuse qui empêche toute noirceur totale. Ainsi, Créatures ne se contente pas de citer l’univers de Jansson : il en prolonge les questionnements et la poésie, offrant un théâtre où l’inconnu se vit non pas comme une menace, mais comme un territoire à apprivoiser.
Si Créatures évoque un monde post-apocalyptique, elle ne tombe jamais dans le désespoir. Il ne s’agit pas ici d’un récit de survie ni d’un manifeste politique sur l’état du monde. La catastrophe est là, en toile de fond, mais elle laisse place à une forme de résilience silencieuse, à une réinvention des possibles. La pièce ne dicte aucune interprétation. Elle invite plutôt le spectateur à se laisser porter, à accepter l’incertitude, à se perdre dans ces fragments de vie. C’est un théâtre de sensations, où l’imaginaire devient une bouée, une façon de flotter malgré tout.
Un spectacle déroutant et fascinant, qui nous laisse avec cette question en suspens : et si, au lieu de lutter contre l’instabilité, nous apprenions simplement à dériver ?
Créatures est à retrouver à l'Espace Go jusqu'au 22 mars.