Profitez d'invitations gratuites et de rabais exceptionnels!
Vous êtes un passionné de spectacles...
Vous aimez faire découvrir à votre entourage des nouveautés ou des artistes...
Profitez d'invitations gratuites et de rabais exceptionnels!
Vous êtes un passionné de spectacles...
Vous aimez faire découvrir à votre entourage des nouveautés ou des artistes...
Inscrivez-vous maintenant, c'est gratuit!
La 41e édition des Rendez-vous Québec cinéma, hébergée par la Cinémathèque québécoise, le Cinéma Impérial, le Cinéplex Odéon Quartier Latin et le Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, donnait une fois de plus, du 22 février au 4 mars, l’occasion d’une rencontre effervescente entre artistes, artisans, étudiants, amateurs invétérés et curieux de tout acabit.
À l’affiche : sorties attendues et premières expérimentations, riches discussions entre cinéastes et cinéphiles, buvette festive et tapis rouge ouvert à tous.
En quête de plaisirs connus et attendus autant que de sensations cinématographiques nouvelles, j’ai eu droit tour à tour à des moments de ravissement, d’étonnement et parfois aussi d’agacement et de déception, mais où dominait toujours la curiosité sincère d’étendre mon propre regard en me plongeant dans celui d’autrui. Retour en deux épisodes sur les points saillants de ce parcours.
Le passage de Robert Morin, roi incontesté au pays des mésadaptés contraints ou volontaires, des écorchés rendus rugueux par leur parcours âpre dans un monde cahoteux qui fait semblant d’être lisse, était attendu sans aucun doute par de nombreux cinéphiles, comme en témoignent les salles combles lors de ses deux apparitions au cours du festival : après la projection de son plus récent film, 7 paysages, et à l’occasion d’une « Leçon de cinéma », conversation rétrospective sur son œuvre, conduite suivant le fil directeur du son dans ses films.
J’entendais récemment dans un podcast le producteur américain Rick Rubin (Kanye West, Jay-Z, Red Hot Chili Peppers, Johnny Cash) placer sur le même plan du point de vue de leur radicalité le son agressif de Slayer et celui, épuré quoique déroutant, de Steve Reich, pionnier de la musique minimaliste. Il me semble qu’il s’agit là d’un prisme intéressant à travers lequel considérer la place du tout récent 7 paysages au sein de la cinématographie de Morin.
Au cours d’une carrière qui s’échelonne de la fin des années 70 à aujourd’hui, le cinéaste a réalisé près de quarante films, d’une grande diversité quant à leur sujet, leur esthétique et leur approche narrative. Il insistait d’ailleurs sur ceci au cours de la leçon : il ne privilégie aucune facture visuelle, aucun procédé technique déterminé. Les éléments formels doivent être entièrement mis au service de la présentation adéquate d’un contenu de sens ou d’un « concept », pour reprendre la formulation de Morin, qui s’impose à l’esprit du créateur. Malgré cette polyphonie de genres et de thèmes imposée par celle des « concepts » à réaliser -et par les limitations matérielles-, il semble qu’on puisse rassembler avec quelque cohérence son œuvre, 7 paysages y compris, de même que Slayer et Steve Reich, sous la catégorie de la radicalité.
Radical, son cinéma l’est parce qu’il se refuse radicalement à toute atténuation et à tout compromis, parce qu’il donne à voir les conséquences parfois funestes du refus ou de l’impossibilité de s’adapter à un monde radicalement vicié, parce qu’il s’en tient avec une radicale fidélité à la démonstration des racines profondes des phénomènes qui sont abordés, en dépliant avec une douloureuse cohérence les conséquences logiques et pratiques qui en découlent. Il est aussi radical par sa capacité à ouvrir le spectateur à l’expérience - au cinéma et dans la vie - d’une perspective qui échappe à la réductrice et hautement préformatée grammaire cinématographique de l’industrie culturelle.
Aller à la rencontre du cinéma de Morin, on le dit souvent, c’est donc s’exposer dans un premier temps à un face à face troublant avec la monstruosité. Il en convenait d’ailleurs au cours de la discussion sur son œuvre : tous ses personnages sont des monstres. Ainsi, par exemple, dans La réception, on côtoie des criminels réhabilités mais marqués à jamais -et depuis toujours- du sceau de l’ignominie, qui s’entre-déchirent, piégés inéluctablement par une paralysie pratique et intellectuelle attribuable à leurs limitations congénitales et leurs inavouables remords. Le Journal d’un coopérant dévoile l’écoeurante déchéance morale d’un coopérant québécois bien intentionné, parti installer un poste de radio en Afrique, qui succombe progressivement aux tentations choquantes offertes à lui en raison de l’insupportable injustice de sa situation d’Occidental privilégié.
Cependant, la caméra placée devant ces monstres n’est jamais celle d’un forain exploitant le caractère spectaculaire de la difformité. Insidieusement, ce qui se présente de prime abord comme un portrait se transforme en miroir, le monstrueux contamine celui qui l’observe, les évidences s'effritent, les soupçons émergent. Peut-être, ainsi, que la condamnation à mort qui pèse sur les vauriens dans La réception est celle à laquelle les convie toute une organisation sociale, gigantesque traquenard voué à faire tomber sur de faux coupables le couperet d’une fausse justice ? Peut-être que l’hypocrisie ainsi que la molle et criminelle capitulation morale du coopérant, inconfortablement compréhensibles pour le spectateur, se situent sur le même continuum que celles dont lui-même se rend constamment coupable, bien que des circonstances favorables en atténuent les conséquences ? Peut-être, donc, que la monstruosité déborde de la nature ou de la responsabilité du monstre où on a voulu la circonscrire, pour refluer sur tout ce qui l’environne et sur tout ce qui le prend à part ? Qui, alors, est le monstre ? Celui qu’on désigne et montre ainsi ou ceux qui assignent et provoquent la fatalité de cette assignation ?
Dans 7 paysages, le laid et le mutilé du monde humain sont relégués un moment à la périphérie, rendus pourtant sensibles justement par leur effacement, alors qu’on est plongés dans le « thriller contemplatif » du spectacle de la nature. Celle-ci est montrée, tout simplement, en tant que nature naturante, dont la vie effervescente et et le devenir fébrile n'ont nullement besoin de l'homme. Le procédé utilisé pour la prise d’images est à la fois frustre du point de vue de l’apport subjectif et sophistiqué du point de vue de la qualité de l’image.
Morin a installé, autour de sa maison à la campagne près de Maniwaki, sept caméras fixées, immobiles, au bout de poteaux surmontés de cabanes en bois, devant sept paysages choisis. Pendant près de deux ans, il a capturé en 4k l’alternance des saisons, du jour et de la nuit, le passage du soleil, de la lune, de la pluie, des nuages, des tempêtes et des orages. Bref, pendant deux ans, il a simplement laissé le regard de la caméra encapsuler de façon presque autonome les infinies transformations engendrées au sein d’une nature pourtant toujours la même.
Son intervention au tournage se limite donc à la « composition » des paysages -par le positionnement et le réglage des caméras- et au choix des moments opportuns pour enregistrer. Quelques éléments artificiels, marginale et fugace présence humaine, sont transportés par Morin ici et là dans le cadre : une baigneuse, un chasseur transportant sa proie sur son épaule, une file de migrants traversant la forêt, des hélicoptères de l’armée, des soldats munis de mitraillettes.
C’est cependant lui, par le biais du montage, qui a véritablement fait de ces images un récit : en sélectionnant et en assemblant parmi les nombreuses heures tournées en deux ans les moments qui permettaient le mieux de rendre la nature dans la multiplicité de ses aspects et dans la plénitude de sa beauté; en choisissant de réduire les plans à un maximum de quinze à vingt secondes, de manière à créer un rythme qui maintient le spectateur dans une constante attente et attention. D’autre part, si le film est entièrement sans dialogue, il faut impérativement saluer (Morin l’a fait lui-même à plusieurs reprises) l’apport essentiel de la conception sonore, qui consiste en l’élaboration d’une gigantesque empilade de bandes sons par l’artiste Catherine Van Der Donckt, qui reproduit avec un réalisme mystifiant les sons naturels qu’on peut entendre en forêt, au point de rendre presque tactile l’immersion dans le paysage.
Au-delà de cette immersion contemplative, à laquelle on se livre d’abord agréablement, le film, qui laisse tout l’espace nécessaire à l’émergence d’un dialogue intérieur avec l’image, fait surgir rapidement une question. Quelle est la valeur ajoutée, s’il en est une, au visionnement sur un écran de cinéma d’images capturées dans la nature en regard de la contemplation et de l’immersion dans la nature elle-même ? Qu’est-ce que cela peut bien nous dire que la nature elle-même ne nous dit pas ? Pourquoi, au fond, produire une image -ici mouvante- de la nature, alors qu'elle se donne à voir et à vivre d'elle-même dans toute sa splendeur ? Ces questions font leur travail tout au long du visionnement, produisant intuitions sous formes de réponses ou de questions nouvelles. Voici déjà une réponse.
Après nous avoir remerciés d’être restés assis sur nos sièges jusqu’à la fin de la projection, Robert Morin nous livre lui-même quelques pistes quant au sens à donner à ces images et à sa démarche, mais en nous laissant la liberté de méditer l'expérience. Ce film serait le premier réalisé en carrière qui exploite une possibilité expressive véritablement propre au cinéma (l’image en mouvement). Son cinéma, il le disait dans la leçon, procédant toujours de « concepts », il serait ici au service de la transmission de l'expérience esthétique de la nature (« Je trouvais ça beau chez moi, j’avais envie de partager ce sentiment »). Il glisse quelque chose, à un moment, concernant la présence humaine dans l’image et dans le son du film, à propos de la communication du sentiment de précarité : précarité de l’homme au sein de la nature et précarité de la nature qui porte l’homme en son sein.
Sans doute le film est-il un peu de tout ça, mais il est aussi un peu plus, il me semble, comme tous ses films, qui révèlent toujours plus que la réalité crue et brutale visible immédiatement. Morin nous livre encore une fois ici une œuvre radicale, mais qui donne cette fois dans le trop peu plutôt que dans le trop plein, dans la sobriété plutôt que dans l’outrance. Par cette proposition, exigeante par le vide qu’elle laisse s’installer plutôt que par le choc qu’elle suscite, s’opère un décentrement qui permet de réfléchir le regard même que l’on pose sur l’homme et sur la nature, et la place de celui-là dans celle-ci. Si on peut dire de l’histoire de l’art qu’elle est aussi celle du regard que l’homme pose sur l’homme, alors on doit noter qu’ici s’efface presque entièrement à la fois l’homme comme regard et l’homme comme objet du regard. Il reste un regard humain lointain, qui observe la technique capturer la nature, nature au sein de laquelle l’homme est réduit à une présence accidentelle et évanescente.